Pourquoi photographier ?
Quand j’ai commencé la photographie je ne m’interrogeais pas sur ma motivation. Disons qu’il y eut cette pulsion de départ à figer quelque chose, à enfermer le souvenir. Une pulsion enrobée d’un attrait pour la nouveauté, caractérisée par la perspective d’un apprentissage, technique et artistique. Et puis il y eut l’emménagement à Lyon, qu’accompagnèrent une succession d’essais ou poursuites divers dans le domaine artistique : musique, théâtre, danse, écriture… et photographie. Alors pourquoi la photographie plutôt qu’une autre discipline ? Pourquoi photographier ? Au-delà des réponses, toujours personnelles, le questionnement même paraît indispensable à un moment ou à un autre. C’est cette compréhension du pourquoi de la pratique qui autorise l’émergence puis l’affirmation d’une vision artistique.
Sommaire
Observer donc photographier
Quand je photographie je me sens à ma place. Cette place, c’est celle de l’observateur. Je suis un observateur. Ma personnalité n’est pas exubérante, on me qualifie d’introverti. Je n’aime pas parler pour ne rien dire, je préfère écouter. Et j’ai appris à le faire, peut-être par nécessité d’abord, au regard de mon histoire personnelle, et plus tard de façon plus consciente. J’ai compris en pratiquant le théâtre ce que recouvrait l’acte d’écoute. Écouter, c’est observer, les gestes autant que les mots, le bruit autant que le silence. Et peut-être plus encore le silence, pour ce qu’il peut avoir de dense, de lourd ou de léger, de riche en sous-entendus indéchiffrables ou univoques. En pratiquant le théâtre, j’ai aussi compris que je cherchais peut-être à forcer ma nature. Je jouais des personnages observés par le public, à la lumière des projecteurs. Par définition j’étais au centre de la scène, sans doute parce que je ressentais ce besoin d’affirmer publiquement ma présence. Mais avec le recul j’ai compris que telle n’était pas ma place, car je préfère embrasser les scènes du regard, pour en témoigner. Dans ma posture périphérique, je me sens libre d’observer, dans le détail comme dans l’ensemble. Quand je confronte cette posture à mon identité, je réalise combien le rôle d’observateur m’est confortable , et combien il me convient : quand j’écris, je décris une réalité que j’observe, qu’elle soit extérieure ou intérieure. Quand je joue du piano, j’observe un élan intérieur, et plus platement ma partition. En photographiant je prolonge un trait de personnalité naturel. C’est en cela que la photographie me révèle : elle confirme mon identité. J’observe donc je photographie.
Photographier pour rapporter la beauté
Quelle est l’impulsion qui pousse à photographier ? Si les raisons peuvent être diverses, il me semble que l’une d’elles revient constamment me concernant. Je photographie pour saisir un instant de beauté. Au-delà d’un hypothétique propos sous-jacent, c’est d’abord une observation d’ordre esthétique qui m’interpelle. Preuve en est, si je devais ordonner ce qui me ravit quand je photographie, je répondrais une lumière de qualité avant tout le reste. Cette sensibilité à la beauté provient sans doute largement de mon héritage culturel, celui-là même qui me fit si tôt fréquenter les galeries des musées, jouer du piano et lire la littérature.
L’évidence de l’expérimentation
Certains abordent la photographie avec l’esprit clair, prêts à implémenter une idée émergée en-dehors du champ de la pratique. Pour ma part, je suis un laborieux. C’est chemin faisant et par le travail que germent mes idées. J’essaye quelque chose, je prends le recul de juger s’il faut persévérer ou essayer autre chose. J’expérimente en réaction à ce que j’observe, mettant en oeuvre une stratégie de petits pas qui visent à parfaire la réalisation d’une idée au fil de tâtonnements itératifs. Cette manière d’aborder une discipline qui est mienne s’applique parfaitement à mon style de pratique photographique : le documentaire suggère de réagir aux stimuli du réel, en dehors des conceptions pré-établies. Quand je vois une scène se déplier sous mes yeux, je la travaille jusqu’à épuisement, essorant toutes ses possibilités pour cueillir son fruit le plus mûr.
Photographier pour transgresser les règles
Quand je photographie dans la rue, je défie la bienséance. Je m’autorise l’indiscrétion des instants volés, j’impose publiquement mon acte créatif. Bien sûr, je l’envisage dans la plus grande discrétion, pour ne froisser aucune candeur d’instant et préserver l’ingénuité totale des fugacités enfermées par l’appareil photographique. Mais ma posture est bien l’affirmation d’une transgression, un refus de respecter des convenances sociales, une volonté de liberté destinée à faire tomber des barrières. Cette volonté de transgression provient elle-même d’un besoin d’affirmation identitaire dont je maintiens ici secrets les ressorts les plus intimes. Toujours est-il que l’acte de photographie dans l’espace public n’a rien d’anodin et répond à certaines dispositions d’esprit éminemment dépendantes d’une histoire personnelle.
Photographier pour vibrer
J’ai tout oublié. Je ne vis que pour l’instant, dédié à une expérience photographique totale, de nature quasi méditative. Je plonge dans la jouissance pure de l’acte créatif, porté par un sentiment de légèreté et de toute-puissance, fondu dans l’expérience la plus concrète du déclenchement, et bercé par l’espérance d’une photographie majeure, accord parfait des lumières, des couleurs et des formes. Ces instants choyés sont rares mais ils sont ceux qui vous rendent vivants, et c’est pour eux que je pratique la photographie. La photographie comme instrument de vibration intérieure. Photographier comme un acte de joie.
6 commentaires
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Coucou Benjamin !
Une nouvelle fois tu te livres à un exercice de clarification des raisons pour lesquelles tu as choisis l’art de la photographie, ce que tu y cherches et ce que tu y trouves. L’auto-analyse que tu fais est d’une grande lucidité sur toi-même, autant qu’on peut l’être. Je n’y ajouterai rien, étant partie prenante dans l’histoire qui t’a construit et qui continue.
Mais j’admire la précision et la profondeur avec lesquelles tu rends compte de ton art par l’écriture.
Bisous et à bientôt pour une suite probable de ta part.
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Merci pour ces compliments ☺️ Je vais continuer mes explorations, photographiques et intérieures
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Les ressentis sont bien là mais le style un peu pompeux !!
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Navré d’apprendre que l’expérience de lecture fut désagréable !
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Quelle finesse! Bravo, la lecture de votre blog est très agréable, bonne continuation!
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Merci beaucoup, très gentil à vous !