Photographier son feu intérieur
Aujourd’hui je me sens plus vivant qu’hier. Voici pourquoi. J’ai écouté un podcast rassemblant les pensées d’une metteuse en scène qui fut autrefois ma prof de théâtre. J’ai ressenti dans ses propos une passion, un désir et une urgence de faire qui m’ont remué et inspiré. J’ai senti l’existence d’un feu intérieur. Je me suis interrogé en miroir sur le sens de ma vie. J’ai questionné ce qui rendait ma vie belle, puissante et forte. J’ai senti le frémissement du coup de pied qui ravive le feu en faisant voler les cendres, découvrant un rougeoiement brûlant.
Je me suis alors demandé ce qui valait la peine et j’ai embrassé les clichés à bras ouverts dans un élan de fureur de vivre : je ne vis que pour l’amour, et je ne veux vivre que pour l’amour. Je veux photographier ceux que j’aime, je veux pouvoir les contempler et les magnifier. Relié à ce feu d’amour intérieur que je porte aux miens, j’embellis un propos intime qui m’est donné à voir dans ma vie quotidienne, en l’enrobant d’un formalisme que je mène de bout en bout, cherchant la perfection de la lumière, des tableaux très composés, des expressions sidérantes qui transcendent les humains en beautés universelles qui traversent les siècles, des portraits de Rembrandt à ceux de Delacroix.
Je m’empare de mes sentiments bouillonnants pour les encadrer formellement, les érigeant en œuvres durables destinées à honorer leur mémoire. Et je choisis non plus de penser d’abord, mais plutôt de vivre avant tout, porté par l’élan quasi primitif des mouvements intérieurs, en posture d’introspection absolument consacrée, en alerte des signaux de joie, de beauté et de grâce. En prise à ces palpitations je me sens vibrer d’un sentiment de complétude.
C’est le médium photographique qui m’accompagne vers cette recherche intérieure, au cœur d’une passionnante épopée, surprenante et haletante pour peu qu’on fasse événement des micro-joies qui abondent. Par le médium j’introduis de fait une distance envers ces réactions instinctives, qui signe la possibilité d’une conscience, et engendre un profond sentiment de reconnaissance et de gratitude à la Vie, bienheureux de seulement exister.
J’entends les gazouillis de mon bébé et je me mets en retard pour lui donner un baiser. En retard de quoi ? Me voici plutôt en avance, en avance de baisers à savourer plus tard, la pensée engluée confortablement dans la jouissance ultime de cet instant.
Voilà que je descends d’un pas aérien ces quelques marches qui mènent à mon vélo, car le pressant devoir m’appelle. La bicyclette est coincée dans cette cave encombrée, impossible à extraire des débris et cartons accumulés et jetés en aveugle dans un noir qui veut ignorer les excès. Alors j’oublie les conventions et les bonnes manières, je fais fi des égards policés et j’ose l’irrévérence du vivant, oublieux et désinvolte, passionné et libre. Je souffle pour me donner courage, je dépose à terre mon sac pour franchir cette épreuve, et d’impatience, de rage ou de dépit je pousse un cri sur ce parking de résidence désert, que j’accompagne d’un coup de pied, celui qui ravive les flammes. Enfin je parviens à achever ma menue entreprise. Alors que je commence à m’éloigner, j’aperçois le voisinage qui m’observe, la cigarette curieuse, le menton posé dans une main dont le bras accoudé profite du spectacle.
Je ne m’excuserai pas de vivre cette fois-ci, portant haut l’émotion, l’énergie et le cœur. En ce matin brillant je me sens libre, dans toute ma singularité, sans mesure ni bride, porté par les fulgurances vivaces et vivantes de mes excès.