Photo de rue : définition, éthique et droit à l’image
Quand on parle de photo de rue, la première question qui vient est celle du droit à l’image. Quand je parle de photographie auprès de mon entourage, si j’ai la chance qu’ils apprécient mon travail, mes proches me font également remarquer : « je ne sais pas comment je réagirais si on me prenait en photo sans mon accord ». C’est l’objet de cet article : définir ce qui relève du droit, de l’éthique et plus généralement des bonnes pratiques envers ses sujets quand on pratique la photo de rue. En commençant bien sûr par définir ce que recouvre la photo de rue.
Sommaire
- Qu’est-ce que la photo de rue ?
- Droit à l’image et photo de rue : le besoin de s’informer
- J’ai le droit de prendre des photos dans des lieux publics
- La diffusion des images est encadrée par la loi
- Les cas où la diffusion d’image n’est pas contrainte
- Demander un accord écrit quand les personnes sont identifiables
- Droit à l’image, une question de bon sens
- Quelle éthique pour la photo de rue ?
- Que faire si quelqu’un se reconnaît sur une photo ?
- Comment gérer des situations conflictuelles en photo de rue ?
Qu’est-ce que la photo de rue ?
La photo de rue désigne toute activité photographique menée dans un lieu public. Cette pratique désigne bien sûr l’acte de photographier dans les rues d’une ville, mais aussi plus largement dans les gares, les jardins publics, à la plage, dans le désert… En général, la pratique de la photographie de rue met en relation des être humains et leur environnement. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’y faire figurer un être humain. La trace d’une présence humaine peut suffire. Sans non plus s’avérer impérieuse.
Dans tous les cas, la photo de rue est indissociable d’une forme de spontanéité : il s’agit de capturer des instants vivants, non mis en scène, porteurs d’un certain caractère documentaire. On exclut donc du champ de la street photography toute composition scénographiée, planifiée en amont, anticipée à l’avance. L’essence de la photo de rue contient cette part d’imprévu que nos amis anglo-saxons désignent souvent sous le terme de sérendipité. Cette part de hasard fait partie du plaisir de la photographie de rue : la prochaine pépite se trouve au coin de la rue, sans savoir de quel coin de rue on parle, ni quand on y tournera. C’est d’ailleurs souvent cette part de hasard qui élève une photographie du statut de bonne photo à très bonne photo : un concours de circonstances, hasard heureux non reproductible, qui rend un instant unique et mémorable.
En réalité, la photo de rue est associée à une liberté qui s’exprime dans sa définition même, dont les contours sont discutés et qu’il appartient à chacun de s’approprier. On pourrait aussi en formuler une définition plus lapidaire : pratiquer la photo de rue, c’est sortir de chez soi pour photographier.
Droit à l’image et photo de rue : le besoin de s’informer
La question du droit à photographier revient inlassablement, en particulier auprès d’un public néophyte auquel on parle de la pratique. La notion de respect de la vie privée est sans arrêt brandie comme un étendard, dans un contexte où de nombreux photographes déplorent une défiance du public grandissante et sans commune mesure avec ce qu’elle pouvait être par le passé.
Si cette question du droit à l’image fait fulminer des flopées de photographes de rue se sentant bridés dans une pratique qu’ils jugent pourtant inoffensive et indolore, elle n’en reste pas moins parfaitement légitime. Elle vous exposera forcément un jour ou l’autre à des questions, parfois formulées de façon virulente. Nombreuses sont les personnes qui peuvent vivre une photo comme un acte d’intrusion ou d’agression, de façon plus ou moins nuancée selon le contexte culturel et social dans lequel vous photographiez. Il me paraît dès lors indispensable de bien connaître le cadre et les limites juridiques de l’exercice de notre passion, ne serait-ce que pour pouvoir argumenter en connaissance de cause dans le cas d’une situation conflictuelle.
J’ai le droit de prendre des photos dans des lieux publics
Prendre des photos dans un lieu public n’a rien d’illégal : cela est même parfaitement autorisé. Il n’est donc pas nécessaire de demander à un inconnu le droit de le photographier, vous pouvez le faire sans sa permission. C’est une bonne nouvelle quand on parle de spontanéité et réaction sur le vif, qui constituent le fondement de la photographie de rue. Inutile dès lors se laisser assaillir de questions lors de la prise de vue. Déclenchez, vous verrez bien par la suite ce que vous ferez ou non des images saisies ; dans tous les cas vous n’aurez pas laissé échapper d’opportunités.
J’attire votre attention sur la notion de lieu public. Souvent, les espaces fermés ou souterrains sont des lieux privés, qui imposent une autorisation pour photographier. C’est un élément à avoir en tête en particulier quand on photographie dans le métro.
La diffusion des images est encadrée par la loi
Si la production d’images n’est pas contrainte, leur utilisation peut poser difficulté car elle se heurte au droit à l’image des personnes photographiées, dont le respect de la vie privée est parfois de facto levé. Utiliser une image, c’est diffuser, publier, reproduire ou commercialiser.
Plusieurs lois balayent le champ du droit au respect de la vie privée, en particulier l’article 9 du code civil qui traite spécifiquement du respect de la vie privée. Mais dans tous les cas, c’est la jurisprudence qui prévaut dans la mesure où aucun texte n’encadre directement le droit à l’image. Cette jurisprudence étant par définition évolutive, il faudra mettre à jour ses connaissances régulièrement sur le sujet. Par ailleurs, le contexte législatif est lui aussi évolutif, à l’instar de la loi du 19 octobre 2020 qui instaure de nouvelles règles pour diffuser l’image d’un enfant sur une plateforme en ligne.
Par défaut en France, il est nécessaire d’obtenir l’accord écrit des personnes impliquées avant de diffuser une image, en vertu du respect du droit à la vie privée. Si ce cadre juridique est valable en France, l’articulation du conflit entre le droit à photographier et le droit à l’image peut sensiblement varier d’un pays à l’autre. Je vous conseille donc de vous renseigner avant un voyage à l’étranger, de manière à exercer votre passion de la photo de rue sereinement où que vous vous situiez.
Les cas où la diffusion d’image n’est pas contrainte
Certaines situations ne sont pas contraintes en termes de diffusion, ne nécessitant aucun accord des personnes impliquées, sous réserve que leur dignité soit respectée. C’est le cas en particulier :
- si les personnes représentées ne sont pas identifiables. Être identifiable, c’est l’être par un tiers, et non seulement par soi-même.
- pour les images de groupe ou les scènes de rue dans un lieu public dans la mesure où aucune personne n’est individualisée, et dans la limite du droit à l’information ;
- pour toute image d’un événement d’actualité ou d’une manifestation publique, dans la limite du droit à l’information et à la création artistique ;
- pour toute image d’une personnalité publique dans l’exercice de ses fonctions si le but de l’image est d’informer (un élu par exemple) ;
- pour toute image illustrant un sujet historique.
Demander un accord écrit quand les personnes sont identifiables
Par contre, dans les autres cas et si les personnes sont identifiables, il vous faudra en toute rigueur recueillir au préalable l’accord écrit des personnes concernées (et l’accord des parents pour les personnes mineures). A défaut, ces dernières pourront exiger un retrait de l’image diffusée, demander des dommages et intérêts, voire porter plainte pour atteinte à la vie privée. Sur le papier, publier une photo d’une personne sans son accord expose à 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Les cas des poursuite judiciaire donnant lieu au versement de dommages et intérêts doivent toutefois démontrer un préjudice grave ou une atteinte à la dignité humaine.
Si vous pratiquez une photo de rue à sensibilité portraitiste, où vous cherchez à montrer l’intensité psychologique d’un regard, vous aurez de bonnes chances d’obtenir des clichés identifiant clairement vos sujets. Vous vous sentirez beaucoup moins concerné.e par ces considérations si vous photographiez des silhouettes, ou des gestuelles. Quand je balaye mes photographies, au travers desquelles j’explore souvent des jeux graphiques, je remarque que les personnages de mes images sont rarement reconnaissables. Interrogez-vous sur votre style photographique, vous en déduirez le degré d’attention qu’il vous faudra prêter à la problématique du droit à l’image.
Droit à l’image, une question de bon sens
Dans les faits, il vous faudra appréhender le sujet au cas par cas, en considérant les intérêts des personnes photographiées, et en évaluant dans quelle mesure la diffusion d’une image peut ou non porter atteinte au sujet. Il est avant tout question de faire preuve de bon sens. Il faut bien admettre qu’une sollicitation systématique des sujets pour accord pendant une session de photo de rue serait tout bonnement injouable ! Gardez toutefois à l’esprit que si vous considérez qu’une image ne porte pas atteinte au sujet sans toutefois détenir cet accord, vous pouvez certes prendre le « risque » de la diffuser, mais vous ne vous préserverez pas à coup sûr d’éventuelles poursuites.
Quelle éthique pour la photo de rue ?
Au-delà des questions juridiques, il s’agit d’abord pour le photographe d’appliquer sa propre éthique au regard de la prise de vue et de la diffusion des clichés. C’est une question d’appréciation personnelle, reliée à notre sensibilité et au regard que nous posons sur le monde. Pour ma part, je ne photographie pas de sujets que j’estime en état de faiblesse ou pour lesquels je considère que leur dignité serait mise à mal.
Le photographe Matt Stuart a un regard tranché au sujet de la dignité, que l’on relie souvent injustement aux personnes sans-domicile. En effet, nombreux (dont je fais partie…) sont ceux qui s’interdisent de photographier ces sujets, en les considérant systématiquement comme en état de fragilité. Matt Stuart pense qu’en photo de rue, il ne faut au contraire rien s’interdire dès lors que notre propre morale n’est pas perturbée : si une scène de rue tient un propos pertinent impliquant un sans-abri, il n’y a pas de raison de ne pas le faire. Les sans-abris font partie de notre société, et une première manière de les inclure est de les photographier au même titre que d’autres sujets.
Je vous conseille d’ailleurs au passage cette éclairante série du photographe Corentin Fohlen sur les sans-abris dans les rues de Paris pendant le confinement lors de la crise du coronavirus de 2020. Elle met justement en lumière le déni de la dignité de ces êtres humains laissés abandonnés à leur sort et privés d’interactions au cours de la pandémie.
Que faire si quelqu’un se reconnaît sur une photo ?
Si vous diffusez une image sans autorisation, vous pourrez être exposé.e à des réactions de la part des sujets impliqués, légitimes à exercer leur droit à l’image, même si cela ne se produit que rarement. C’est en particulier vrai si vous diffusez des photos sur les réseaux sociaux en spécifiant des détails de localisation.
J’ai personnellement rencontré cette situation dans le cadre de la diffusion d’une image sur Instagram, saisie place des Terreaux à Lyon. La personne concernée a été reconnue par l’une de ses amies. Après avoir un peu échangé pour « sentir » si se savoir photographiée à son insu lui avait été désagréable, je lui ai proposé de lui offrir un tirage photo, calquant la démarche menée à Londres par le photographe Shane Taylor, qui s’était trouvé auparavant dans une situation similaire, et que je considérais comme une forme élégante de remerciement. Si la démarche a indubitablement fait plaisir, voilà l’enseignement (et le conseil) que je peux en tirer : soyez parfaitement clair.e sur vos intentions réelles. Offrir un tirage n’est pas un acte anodin : il peut certes être perçu comme un agissement totalement altruiste ; mais il peut également être envisagé dans une perspective plus confusément romantique qui peut aboutir à de malheureux quiproquos…
Comment gérer des situations conflictuelles en photo de rue ?
Au-delà des questions juridiques sur la diffusion des images, il arrive que l’on ait à interagir avec ses sujets de façon peu engageante lors de la prise de vue. Quand on saisit des clichés sur le vif, il est par définition difficile d’anticiper la réaction des sujets. En règle générale, avec un peu d’expérience, on parvient à sentir si une personne peut être réfractaire à l’idée d’être photographiée. De toute façon, une attitude de défiance ou de désapprobation se voit immédiatement, et ne pourra jamais donner lieu à une bonne photo. Toutefois, en photo de rue il est question d’agir vite, et il est souvent préférable de prendre une photo pour ne pas avoir de regret, quitte à ne pas être en mesure d’analyser l’ensemble des paramètres à disposition.
Quand vous vous faites interpeller par un sujet photographié (fait qui se présente très rarement, surtout si vous vous comportez dans la plus grande discrétion), ne cherchez surtout pas à vous défiler, vous n’avez rien à cacher et vous êtes dans votre droit. Soyez honnête par rapport à votre démarche, et expliquez pourquoi vous avez eu envie de prendre une photo. Parce que vous avez aimé la lumière, le vêtement de la personne photographiée, son attitude… Il y a plein de raisons de vouloir photographier quelqu’un, et ces raisons sont souvent flatteuses. La plupart du temps, expliquer posément les choses, tout en connaissant votre droit, suffira à apaiser les tensions. Il faut connaître son droit, celui de photographier en public, mais ne jamais l’invoquer. Il n’y a sans doute rien de pire pour un sujet vous demandant pourquoi vous l’avez photographié que de lui répondre : « parce que j’ai le droit »…
4 commentaires
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Bonjour Benjamin !
C’est clair, exhaustif et nuancé.
Merci Benj.
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J’ai fait l’expérience d’une mère de famille qui a exigé que j’efface l’image photographique de son fils mineur que je venais de faire dans une aire de jeux spécialement réservée aux enfants de six à douze ans et située dans un parc public. Comme je refusais, nous avons convenu qu’elle appelle la police, suite à quoi la police a exigé que j’efface la photo, ce que j’ai fait.
En parlant de cet incident à mon frère et son épouse, je me suis heurté instantanément à une réaction vive comme quoi j’avais outrageusement enfreint la loi et que mon acte photographique était tout-à-fait déplacé.
Rebelote avec une cousine au restaurant. Elle était tellement outrée qu’elle s’est levée de table et à précipitamment quitte les lieux, me laissant seul avec mon cousin. Ma conclusion est: il devient très difficile et risque de pratiquer la photo de rue, surtout quand elle implique des enfants mineurs. A bon entendeur….
Bruxelles
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Il y a bien des éléments dans cette histoire. Précisons ici que je vis à Montréal et que la législation peut différer et encore plus la jurisprudence. Donc si quelqu’un nous demande d’effacer une image de notre appareil, nous ne sommes pas obligé de le faire car celle-ci est notre propriété, ce qui ne nous donne pas le droit de la diffuser. Si c’est un policier qui nous le demande, il en est de même! Un policier est certes un spécialiste du code de la route et du code criminel mais pas du code civil. Il n’a pas le droit d’exiger que nous effacions une image mais… il ne le sait pas! J’aimerais bien voir un policier procéder à mon arrestation parce que j’ai refusé d’effacer une photo!!! Pour la seconde partie qui concerne les réactions de vos proches j’ai juste envie de dire quelle misère. Ceci-dit, bonne photo à vous!
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La photographie de rue est de plus en plus mal acceptée, surtout s’il s’agit d’enfants mineurs. Elle est perçue comme une atteinte insupportable à la vie privée.
Ne comptez pas sur la comprehension de vos proches, en cas de litige à propos d’une photo jugée litigieuse. Il y a de fortes chances que votre comportement soit d’emblée condamné.