Comment faire des photos de nuit ?
La photo de rue nocturne rebute de nombreux photographes dissuadés par le défi technique qu’impose la faible quantité de lumière disponible. Se pose également la question de la qualité de la lumière, dont la nature artificielle est souvent boudée au profit de la convoitée lumière solaire. En réalité, la première contrainte n’en est plus vraiment une au regard des performances superlatives en basse lumière des appareils photos contemporains ; quant à la seconde, elle apporte son lot d’opportunités créatives dont il est dommage de se priver. Je vous présente au fil de ces lignes mes clés pour ouvrir un oeil nouveau sur la photo de rue de nuit.
Sommaire
- 1- Photo de rue nocturne : un souci de simplicité
- 2 – Photo de nuit : mes réglages
- 3 – Le paradoxe nocturne : allez vers la lumière
- 4 – Photo de nuit : cherchez l’extraordinaire
- 5 – Les vertus d’une météo défavorable
- 6 – La nuit, osez le noir et blanc
- 7 – Photo de rue de nuit : vers une approche minimaliste
1- Photo de rue nocturne : un souci de simplicité
Par définition, la photo de rue de nuit se caractérise d’abord par la faible lumière disponible. En résulte un premier défi technique consistant à adapter ses réglages de plein jour. Bien sûr, les photographes les plus averses au bruit sortiront les trépieds pour renoncer à tous les compromis en matière de qualité d’image. Forts d’une stabilité à toute épreuve préservant les sensibilités minimales, ils s’adonneront aux vertiges de la pose longue laquelle compensera le manque de lumière intrinsèque aux sensibilités Iso les plus faibles. Pour ma part, je ne suis pas partisan de cette approche. D’abord par simplicité, la photo de rue étant d’autant plus facilitée qu’elle passe inaperçue dans l’espace public ; surtout par éthique : la photo de rue porte en elle une spontanéité qui s’évanouirait si l’on imposait à sa pratique un cadre trop contraint.
2 – Photo de nuit : mes réglages
En réalité, mes propres réglages sont assez simples. J’ai l’habitude de shooter en mode manuel de nuit, car les forts écarts de luminosité qu’on peut rencontrer produisent des résultats trop variables à mon goût à l’usage des modes semi-automatiques. Je procède par itérations successives jusqu’à trouver la configuration optimale : si cette opération peut sembler coûteuse au départ, elle devient naturelle et immédiate avec l’habitude. D’abord, je cherche à conserver un temps de pose assez vif pour figer le mouvement, de l’ordre du 1/200ème de seconde. Je travaille avec des focales fixes ouvrant à f1.4 ; pourtant j’ai l’habitude de fermer légèrement l’objectif, en général autour de f2.8. Ce compromis autorise le passage d’une quantité de lumière souvent suffisante tout en maintenant une plage de netteté satisfaisante. J’ajuste la sensibilité en conséquence. J’évite toutefois sur mon Fuji X-T2 de dépasser les 5000 Iso : je trouve en effet au-delà le grain trop présent et le rendu trop dégradé. Si je me trouve exposé à cette limite, je me résous toutefois à ouvrir davantage ou baisser légèrement la vitesse.
Concernant la mise au point, je cherche bien sûr les zones les plus lumineuses et contrastées. Enfin pour conclure sur le paramétrage technique, le format Raw offrant une plus grande latitude au post-traitement en particulier s’agissant de l’ajustement de la balance des blancs, c’est le format d’image que je privilégie pour ces conditions nocturnes.
3 – Le paradoxe nocturne : allez vers la lumière
Même si cela peut paraître paradoxal, la nuit il « suffit » de se diriger vers les zones éclairées. D’une certaine façon, la contrainte de la lumière moins disponible simplifie l’équation des opportunités. Ne vous est-il en effet jamais arrivé en plein jour de ne pas savoir quoi photographier ? De jour, toute situation est potentiellement un sujet d’intérêt dans la mesure où elle saisissable techniquement. Par contre, la nuit les possibilités se trouvent mécaniquement plus restreintes, les ombres les plus profondes demeurant oubliées au profit des espaces lumineux.
La nuit, c’est donc la lumière qui structure les cadres comme en témoigne l’image ci-dessous. Je me promenais dans les rues du Vieux-Lyon à proximité de la cathédrale Saint-Jean. J’avais identifié les éclairages dont les tons complémentaires se répondaient. Je me suis positionné de manière à inclure le reflet du feu rouge sur une vitre, structurant ainsi l’image d’une façon triangulaire qui la dynamise. J’ai attendu ensuite qu’un passant vienne compléter la composition en traversant le rai de lumière que dessinait un lampadaire.
Les lumières artificielles de la vie nocturne suprendront les photographes usés à la golden light. Pour ma part, je ne fais pas de différence fondamentale entre ces deux types de lumière : elles suggèrent chacune d’en appréhender la direction, la couleur et l’intensité. Comme souvent en photo de rue, c’est l’expérience qui nous fait reconnaître les lumières les plus valorisantes pour son sujet.
4 – Photo de nuit : cherchez l’extraordinaire
Qu’est-ce qui rend une image unique ? Il est souvent question de mystère ou d’incongru, en tout cas de ce qui s’écarte du banal. Je pense que la nuit se prête à ce type d’impression. A commencer par les éclairages artificiels qui peuvent colorer étrangement une scène, qu’il s’agisse de feux de circulation, de lampadaires ou de néons. Les variations qu’offrent les reflets autour d’une source de lumière sont souvent intéressants à explorer également. On pourra jouer aussi avec la texture granuleuse des hautes sensibilités, quitte à expérimenter des compositions abstraites.
Pour produire l’image ci-dessus lors d’une session de photo de rue à Lyon, je me suis posté à proximité d’un passage piéton. Je trouve ce type de positionnement assez stratégique quand il s’agit de figer des attitudes introspectives. L’usage effréné des téléphones portables efface peu à peu de l’espace public ces instants de flottement où l’esprit vagabonde au fil des pensées. Ces micro-instants d’attente à un feu rouge sont des occasions rares de les observer. La couleur rouge vive des feux de circulation apporte à cet instant réflexif une tension qui m’a parue intéressante.
5 – Les vertus d’une météo défavorable
Rien de tel que des conditions atmosphériques dégradées pour produire des atmosphères hors-normes. En particulier, la brume apporte cette touche de mystère qui confère à une scène cette ambiance de film noir potentiellement saisissante. En réalité, la brume simplifie les compositions car elle élimine les détails et dilue les contours. Il faut hélas compter sur un peu de chance pour cela : je trouve les jours de brouillard désespérément peu nombreux à Lyon…
Autre paramètre précieux aux yeux des photographes les plus courageux : la pluie. Les gouttes d’eau font rebondir les éclats lumineux, autorisant des jeux de textures dont je ne me lasse pas. Pour l’image ci-dessous, je me baladais à Lyon autour de la place Bellecour qui concentre un dynamisme et une effervescence souvent porteuse d’idées de photos de rue. J’ai joué avec la surface vitrée donnant à voir l’escalier d’une bouche de métro. J’ai fait un choix de mise au point sur la texture pluvieuse pour seulement esquisser le personnage en arrière-plan, dont la longue écharpe blanche attire l’oeil et crée un mouvement que je trouve à propos. Enfin, j’avais repéré ce reflet d’un feu rouge qui complète en contrepoint la dominante bleutée de l’image.
6 – La nuit, osez le noir et blanc
Le noir et blanc possède un avantage comparativement à la couleur : il autorise une plus grande latitude en post-traitement, ce dont je parle ici en détails. Comme je l’évoquais en début d’article, il n’est pas rare de devoir jouer avec les limites de son appareil photo en matière de sensibilité Iso. Le grain en noir et blanc apporte cette dimension surannée qui a son élégance… Par ailleurs, il peut être un moyen de valoriser une scène y compris quand la couleur initiale de la lumière n’est pas juste.
En me promenant face au Louvre dans le jardin des Tuileries, j’ai remarqué le bel équilibre qu’offrirait une composition impliquant la conversation de ces deux hommes, le lampadaire et la grande roue en arrière-plan. L’intensité des éclairages était assez homogène d’une source lumineuse à l’autre : c’est un critère que j’ai toujours en tête, le regard se dirigeant toujours spontanément vers les zones les plus fortement éclairées. Pourtant, la concordance des couleurs ne me convenait pas pour leur association inélégante. Je trouve que le noir et blanc apporte ici une dimension intemporelle intéressante, tout en recentrant l’attention sur le jeu graphique bien introduit par la diagonale courant le long du muret.
7 – Photo de rue de nuit : vers une approche minimaliste
La nuit, les sources de lumière sont restreintes et noient les détails : n’est-ce pas une belle occasion pour soigner et simplifier les compositions ? A titre personnel, j’aime les cadres épurés, où chaque élément se trouve à sa juste place, nourrissant le propos sans redondance ni distraction. Leur impact visuel en est d’autant plus fort.
J’ai pris cette photo à travers la vitre d’un bus. Ce passager semble perdu dans ses pensées dont on peut imaginer la teneur mélancolique. Je trouve que les trois points de lumière contribuent à l’harmonie du cadre en le structurant.
En guise d’ouverture sur le sujet de la photo de rue nocturne, et pour encourager vos propres expérimentations, je ne saurais trop vous recommander de découvrir le travail de Joshua Jackson, contemporain qui a fait de la photo de nuit sa spécialité, quadrillant les rues du quartier de Soho à Londres pour combattre son manque de sommeil… La photo de nuit a des vertus thérapeutiques, semble-t-il…