Le noir et blanc en photo de rue : 6 conseils pour plus d’impact et de sens
Vous associez le noir et blanc à la fadeur de nuances de gris arbitraires ? Il manque à vos photos en noir et blanc ce supplément d’âme qui vous donne envie d’y revenir ? Je vous livre ici six astuces pour leur donner l’intensité et l’intention qu’ils méritent.
Sommaire
1. Noir et blanc : un choix conscient
Quand Brassaï dépeignait le Paris des années folles, bien sûr il ne se posait pas la question de la couleur. Ce qui est certain par contre, c’est qu’il savait très bien quel usage il pouvait faire du noir et blanc pour servir sa créativité. Quand on observe ce chat, on ne peut qu’admirer sa maîtrise de la lumière, du contraste et du jeu des textures. Je trouve fascinante cette évocation fondamentale de ce qu’est un chat sans même en brosser les détails : deux prunelles brillantes, une masse noire posée sur un motif lancinant qui entretient la tension du regard. On perçoit parfaitement la nature sauvage et indomptable de l’animal.
Aujourd’hui, nous avons ce luxe de pouvoir choisir entre couleur et noir et blanc, parfois sans vraiment savoir comment. Certains photographes contemporains opèrent des choix radicaux, comme se consacrer à la photographie de rue argentique monochrome. Pour ma part, je trouve dommage de s’imposer une telle contrainte : j’ai beaucoup d’attrait pour la couleur, comme je peux me ravir d’un traitement en noir et blanc. En réalité, je pense que le choix du noir et blanc devrait seulement être conscient et assumé, sans jamais s’imposer par défaut.
2. Quand shooter en noir et blanc ?
La première réponse me paraît être celle du sens. Le noir et blanc s’inscrit dans la longue tradition photographique des grands maîtres humanistes, de Willy Ronis à Cartier-Bresson, en passant par Doisneau. En réminiscence de ces maîtres passés, le noir et blanc peut porter une dimension nostalgique. Mais il peut aussi bien se montrer plutôt intemporel, à brouiller les marqueurs de temps souvent signés par la couleur. Par ailleurs, la restriction volontaire de la gamme tonale dépourvue de couleur constitue de fait une simplification. L’attention, détachée de toute distraction chromatique, se recentre sur l’intensité des contrastes lumineux, sur les formes et textures, et plus généralement sur l’impact de la composition. A titre personnel, je trouve que le noir est blanc honore les compositions synthétiques, structurées par la géométrie : en un sens, le monochrome porte une forme d’universalité.
Je trouve que la photo de rue ci-dessus, prise à l’occasion d’une projection pendant la Fête des Lumières à Lyon, contient un peu de tout cela : cet homme au chapeau renvoie aux mystères d’un film d’espionnage, le détail du téléphone l’inscrivant par contraste dans un contexte contemporain. Le motif projeté au mur crée une répétition qui se suffit à elle-même et ne justifie pas la couleur (dont les tons fluorescents n’étaient d’ailleurs pas des plus flatteurs). Le fort contraste entre les pavés lumineux et les zones laissées plongées dans des ombres très noires confère à l’image une intensité dramatique qui fait écho à la conversation dont on peut imaginer la teneur défavorable.
3. Pensez à la direction de la lumière
Les photos de rue monochromes les plus saisissantes sont d’abord portées par la lumière. Selon sa direction, l’effet obtenu peut être radicalement variable, et contribue pleinement au propos d’une image. Les lumières obliques en clair-obscur à la manière du Caravage, que j’affectionne particulièrement, apportent à une scène une tonalité dramatique, donnant du relief aux matières et structurant le cadre de façon tranchée. Un contrejour peut produire d’étonnants résultats, jusqu’à esquisser les seuls contours d’un personnage auréolé d’un halo lumineux. Toutes les variations sont envisageables : la gestion de la lumière est une discipline en soi, des années de travail n’étant guère superflues pour en saisir les subtilités.
Pour cette image prise à Saint-Just, j’ai été séduit d’abord par la texture brumeuse de la fenêtre donnant à voir l’intérieur d’un troquet : elle renvoie aux vapeurs brouillantes d’alcool qui diluent les lucidités. Je trouve que cette lumière vient d’en haut comme l’illumination soudaine d’une idée qui se fait jour fébrilement, portée par ce creux de main légèrement éclairé qui la porte à la connaissance publique.
4. Pensez à la répartition de la lumière
Vous pouvez rencontrer une lumière fantastique sans pour autant pouvoir la valoriser : qui n’a jamais pratiqué la photo de rue sans succès sous une golden light pourtant grisante ? Sans doute faute d’avoir trouvé un sujet suffisamment fort… C’est en alignant le sujet et la lumière qu’on produit les images les plus percutantes. Il s’agit de procéder de telle manière que les zones les plus intensément éclairées convergent avec les éléments d’intérêt de l’image, de façon à fluidifier la circulation du regard à l’intérieur du cadre. L’oeil est en effet naturellement attiré par la lumière et le contraste. En guise d’analogie issue de la sphère picturale, Rembrandt n’hésitait pas à laisser à l’abandon des ombres des zones à peine esquissées, portant une attention minutieuse à la force expressive des visages illuminés en clair-obscur.
Dans cette image, j’ai opéré plusieurs micro-ajustements pour placer le profil de cet homme sur le fond le plus lumineux de l’image. Par contraste, ce personnage apparaît en silhouette, accrochant le regard du premier coup d’oeil.
5. Osez pousser les curseurs en post-traitement
En matière de post-traitement d’image, tout est histoire de mesure. C’est l’expérience qui nous apprend à trouver le dosage entre un traitement de bon ou de mauvais goût. La culture de l’image au sens large également, qu’il s’agisse des maîtres de la peinture, du cinéma ou de la photographie. Ce qui est certain en tout cas, c’est que le noir est blanc nous autorise à pousser un peu plus les curseurs : contraste, clarté, vignettage… Et pourquoi pas ajouter artificiellement un peu de grain pour renforcer le caractère suranné d’une image empreinte de nostalgie ? Personnellement, j’aime les photos au traitement assumé qui n’hésitent pas à tailler des noirs profonds. Souvent, une photo aura d’autant plus de force qu’elle balaye l’ensemble de la plage dynamique, illustrant l’ensemble de la gamme tonale du noir jusqu’au blanc. La photo de rue est avant tout une source d’amusement, n’ayons pas peur d’une certaine hardiesse de traitement… toujours avec mesure !
6. Pensez en noir et blanc
Il n’y a pas de secret : si vous voulez progresser en photographie de rue monochrome, il faut y consacrer du temps. C’est-à-dire shooter en noir et blanc de manière intentionnelle, en apprenant à lire les lumières et situations qui s’y prêtent. Même si je suis un fervent adepte du format Jpeg notamment en raison de la fluidité du processus photographique qu’il autorise (j’y reviendrai dans un prochain article), je dois bien avouer que le format raw peut vous être bien utile dans ce cas : si vous possédez un appareil photo hybride, vous pouvez régler votre boîtier en raw+Jpeg, de façon à visualiser dans le viseur l’image en noir et blanc sans pour autant mettre de côté la possibilité de la couleur dès la prise de vue. Je n’ai pas un profil très technique, et je serais bien incapable de vous conseiller sur les différences d’un boîtier à un autre sur ce point ; toujours est-il que cette option est envisageable avec le boîtier Fujifilm X-T2 que j’utilise. Plus vous vous habituerez à voir en noir et blanc, plus vous deviendrez sensible aux subtilités des dégradés lumineux et des nuances de gris… et plus vous vous en délecterez !