Où pratiquer la photo de rue : les meilleurs terrains de jeu
Où photographier ? Être photographe de rue, c’est prendre des photographies sur le vif avec l’espace urbain pour terrain de jeu. De quels espaces parle-t-on ? Alors qu’une bonne photo de rue inclut une forte part de hasard, certains lieux favorisent l’heureuse rencontre d’images à succès, alors que d’autres se révèlent moins prolifiques. Si la photographie n’a d’autre limite que notre propre inventivité, il est néanmoins possible d’identifier ces terrains de jeux plus propices que les autres à offrir des perles photographiques. C’est ce que je vous propose d’explorer dans cet article.
Sommaire
- Photographier les lieux de passage pour maximiser les opportunités
- Les lieux de rendez-vous pour capter des instants de vie
- Les croisements de rue pour jouer sur les plans
- Les passages piétons pour des portraits de rue introspectifs
- Les bus pour travailler les jeux de reflets
- Le métro, ou comment photographier dans des lieux confinés
- Les aéroports, lieux d’attente pleins de promesses photographiques
- Les gares drainent des flux de voyageurs peu soucieux des appareils photo
- Les terrasses de café se prêtent aux compositions graphiques
- Les marchés pour des photographies complexes et vivantes
- Les jardins publics, pour une pratique photographique méditative
- La plage, ce lieu de loisir où vous passerez pour un touriste
- Les lieux touristiques en général, pour vous fondre dans le paysage
- Le meilleur terrain de jeu se trouve où vous vous sentez bien
Photographier les lieux de passage pour maximiser les opportunités
Souvent, les photographes de rue cherchent à immortaliser des instants vivants, riches en interactions humaines. L’imprévisible fait la beauté et la difficulté de la discipline. Il est impossible de prévoir où et quand surviendra un moment précieux. Ce que l’on peut faire en revanche, c’est chercher à multiplier nos chances de les saisir. C’est pour cette raison que je conseille de photographier les lieux passants et animés. Il s’y passe plus de micro-événements qu’ailleurs, et par conséquent on y voit davantage d’opportunités photographiques. De plus, photographier en milieu grouillant est souvent gage de discrétion : qui prêtera attention à l’hurluberlu hésitant perdu au milieu d’une foule ? Sans doute personne. Au contraire, ces mêmes agissements dans un lieu calme ne manqueront pas d’intriguer.
Les lieux de rendez-vous pour capter des instants de vie
Les points de rencontre offrent souvent des moments intenses à capturer. Ces lieux se prêtent volontiers aux manifestations effusives, aux accolades chaleureuses et autres embrassades passionnées. Ces instants forts sont souvent précédés des minutes haletantes passées à attendre l’incidence d’une rencontre, qu’il s’agisse de celle d’un ami, d’un amoureux, voire d’un collaborateur qu’on rencontre pour la première fois dans une ville lui étant inconnue, proposant à dessein ce lieu de rendez-vous évident. C’est le cas des places touristiques, abondamment desservies en transports publics, et très clairement identifiables, qu’on soit ou non familier de la ville.
Les croisements de rue pour jouer sur les plans
Le jeu sur les plans est sans doute l’un des plus grands défis photographiques en matière de composition. Obtenir une image dense dans toute sa profondeur, du premier plan à l’arrière-plan, est une tâche hasardeuse, fruit d’un patient travail couplé à une part de chance. S’il est relativement aisé de produire un arrière-plan plaisant, le premier plan est généralement beaucoup plus ardu à contrôler quand on parle d’un sujet en mouvement : plus le sujet est proche, moins on a de temps pour anticiper ses déplacements au travers du cadre. Il faut souvent faire confiance à la bonne étoile du photographe de rue.
En pratique, la présence d’un appareil photo génère souvent des réactions craintives ou d’évitement. C’est pourquoi se poster à un coin de rue peut s’avérer payant. On « surprend » le sujet d’une certaine manière, avant qu’il n’anticipe lui-même la présence de l’appareil photo. Par ailleurs, les croisements de rue sont le théâtre de déplacements multidirectionnels qui dynamisent les cadres et se prêtent aux effets de plans successifs.
Les passages piétons pour des portraits de rue introspectifs
Les smartphones ont envahi l’espace urbain comme des capteurs d’attention indéboulonnables, compliquant la tâche du photographe de rue. Pourtant, les passages piétons constituent un terrain de jeu de choix car ils résistent encore souvent aux tendances addictives des écrans numériques. Il s’agit en effet de rester vigilant pour sauvegarder sa propre sécurité. On fait montre d’un peu de patience à un passage piéton, dans l’attente d’une libération de la voie publique à la faveur d’un feu rouge immobilisant le flux des voitures. Parfois, ce temps de latence nous offre des moments de grâce, révélant des piétons perdus dans leurs pensées, la tête libérée du joug de l’écran, le regard jeté dans le vague ou envoyé à l’horizon, dont on peut chercher à saisir des portraits volés.
Les bus pour travailler les jeux de reflets
Les bus sont certainement une source d’inspiration incontournable en photo de rue. Certains photographes, à l’instar de Nick Turpin du collectif In-Public, y ont consacré des projets entiers. Les bus présentent trois atouts majeurs :
- Le premier, c’est le jeu qu’ils autorisent autour des reflets et textures. L’hiver, les vitres autrefois transparentes se chargent d’une buée confondante qui brouille les traits des voyageurs pendulaires pour créer des ambiances surréelles. La nuit, les faibles lumières intérieures des bus éclairent des visages hagards tirés du noir. Parfois, les vitres sèches des étés poussiéreux se couvrent d’un revêtement granulaire et terreux laissant à peiner filtrer quelques détails.
- Le second, c’est l’opportunité de composer des cadres graphiques, érigés par la géométrie structurante et simplificatrice des panneaux vitrés rectangulaires.
- Le troisième, c’est l’exposition au public de visages plus ouverts, plus évidemment repliés sur soi également, appartenant à des personnages inconscients d’être observés, comme si la barrière d’une vitre les protégeait de l’extérieur, favorisant l’expression de sentiments intérieurs dans le secret d’une intimité supposée.
Le métro, ou comment photographier dans des lieux confinés
Tout comme dans le bus, la photographie dans le métro se prête aux jeux graphiques exploitant la structure géométrique des surfaces vitrées. Comme dans les bus, elle capte des instants relâchés par des voyageurs en transit s’abandonnant à l’ennui de ce temps interstitiel qui les sépare de la surface des villes. Par ailleurs, les stations de métro ont souvent leur propre identité, certaines d’entre elles offrant un cadre esthétique particulièrement favorable. Sans oublier ce jeu de lignes que composent les rails, ou l’opportunité de flous que propose le départ de wagons capturés à vitesse lente.
Il faut sans doute un peu plus de courage qu’ailleurs dans ce terrain de jeu sous-terrain qu’est le métro pour appuyer sur le déclencheur, l’échappatoire étant plus délicat à trouver en cas d’altercation dans cet espace confiné. Cette peur de la confrontation n’est que peu rationnelle cela dit, dès lors que l’intention du photographe ne manifeste aucune agressivité. Par ailleurs, la pratique photographique peu avant la fermeture des portes du métro constitue un temps de prise de vue certes particulièrement réduit mais psychologiquement commode, puisqu’il s’agit de saisir des clichés d’un wagon de voyageurs déjà sur le départ, qui d’ailleurs n’ont que faire d’un photographe esseulé se ridiculisant à appuyer sur un bouton.
Les aéroports, lieux d’attente pleins de promesses photographiques
Les aéroports constituent un terrain de jeu de choix pour les photographes. Comme tous les lieux de transition d’un point à un autre, ils favorisent le relâchement de voyageurs fatigués ou impatients, certains allant jusqu’à rejeter tout sens de la tenue, l’interminable temps d’attente les libérant des conventions sociales les plus profondément ancrées. C’est ainsi que les photographes témoignent de scènes insolites et parfois surréalistes, des dormeurs affalés sur des canapés de fortune, bouches abandonnées à une ouverture maximale accompagnant les ronflements les plus indiscrets, aux brochettes de voyageurs méthodiquement rangés sur des lignes de fauteuils uniformes, en passant par des personnages de tous horizons et de toutes cultures qui génèrent les rencontres improbables de voyageurs qui ne se seraient sans doute jamais croisés dans d’autres contextes.
Les aéroports regorgent également de possibilités graphiques que dessinent des jeux d’ombre et lumière dans des halls d’attente largement ouverts et souvent structurés par des lignes épurées. Le livre ‘Last Call’ de Harry Gruyaert, qui explore dans l’éclatant style en couleur du photographe cet univers des aéroports, est un modèle du genre à découvrir d’urgence.
Les gares drainent des flux de voyageurs peu soucieux des appareils photo
Les gares sont des lieux effervescents mêlant des protagonistes aux destinées diverses. Les uns courent attraper ce train désespérément à l’heure. Les autres trépignent en jetant des coups d’œil furieux à leur montre comme pour faire venir plus vite à quai le train impatiemment attendu. D’autres encore, sans doute trop prévoyants, font les cent pas ou attendent, plantés comme des piquets le regard posé nulle part, la prochaine annonce leur indiquant la lettre sacrée afférente au quai de départ des wagons. Les voyageurs pendulaires, travailleurs exagérément assidus aux cernes dessinées, se bercent d’une illusion d’énergie en avalant les lampées généreuses et brûlantes d’un café de gare le lundi. Inversement, les vendredis sont le théâtre des scènes de liesse les plus décomplexées, les halls de gare déversant les flux épais de voyageurs abondamment volontaires pour échapper au train-train tumultueux du quotidien le temps d’un week-end.
Cette dynamique, variable à chaque heure du jour sans jamais perdre en vivacité, donne certes du fil à retordre aux photographes soucieux des compositions les plus épurées, les obligeant à jongler avec des plans encombrés par des jungles de voyageurs. Mais elle offre une foultitude d’instants dont le photographe a la jouissive liberté de pouvoir les cadrer, pour peu que la lumière jette son plus bel éclat sur ces déambulations ininterrompues qui ont décidément mieux à faire que de rester condamnées à l’ombre.
Les terrasses de café se prêtent aux compositions graphiques
Les lieux de restauration sont indiscutablement dignes d’intérêt pour un photographe de rue. On a tous en tête l’image surannée bien qu’encore d’actualité de ces bistrots, brasseries et autres cafés parisiens, menés d’une main de maître par des serveurs sobrement vêtus de blanc et noir, prompts à recueillir les commandes comme à les satisfaire, apportant en un clin d’œil des verres pleins défiant les plus précaires équilibres, déposés sur un frêle plateau rond porté à bout des doigts d’une main dans un geste de cinéma.
Les décors de ces cafés constituent l’opportunité théâtrale de cadres graphiques au casting composé d’acteurs buveurs des breuvages les plus enivrants. Il s’agira pour le photographe de saisir au vol la subtile interaction d’un cœur qui cherche à séduire en proposant un verre pour la première fois, ou de faire honneur à la plus sombre intériorité d’un buveur certes occasionnel mais néanmoins désireux de noyer quelque contrariété en dépassant l’observation première des larmes d’alcool dessinées sur un bord de verre trop souvent vide.
Les marchés pour des photographies complexes et vivantes
Si vous cherchez des lieux vivants pour exercer votre œil photographique, alors les marchés comptent parmi les terrains de jeux de première qualité. Ces espaces hautement théâtraux mettent en mouvement des personnages aux intérêts divers, vendeurs de légumes, flâneurs de week-ends ou chefs de famille désireux de remplir les frigos vidés par une marmaille sans doute aussi émerveillée que les photographes par la richesse des couleurs, des sons, et des odeurs dont on peut y témoigner.
La photographie de marché est difficile car les paramètres à contrôler sont nombreux quand la matière de travail est une foule en mouvement. Elle présente l’intérêt de s’exercer souvent dans la plus grande liberté d’expression, dans la mesure où chacun s’affaire à des activités autrement plus passionnantes ou impérieuses que la surveillance de vos faits et gestes. Si la production d’images fortes est difficile dans ce type de contexte particulièrement encombré, cette stratégie peut s’avérer payante pour les plus patients et disciplinés d’entre nous.
Les jardins publics, pour une pratique photographique méditative
Les espaces verts ont des vertus apaisantes pour le photographe de rue. S’écartant des flux vrombissants des véhicules dévalant les avenues, il reprend un second souffle, se plaisant à se surprendre lui-même, proposant des cadres fournis en matière chlorophylle qui peuvent inclure des joggers, des passants désireux d’accomplir leur marche digestive, ou d’autres flâneurs déterminés à respirer un air plus respirable. Il ne faut jamais manquer une occasion de renouveler son approche et de stimuler son regard. L’observation en jardin public en fait partie. Elle favorise aussi, par le rythme plus lent qu’elle impose, la construction d’images plus posées, aux compositions peut-être plus abouties en vertu de ce moindre sentiment d’urgence, et dans tous les cas ouvertes à des pensées méditatives.
La plage, ce lieu de loisir où vous passerez pour un touriste
Pourquoi devrait-on cantonner la photo de rue à la seule définition étriquée des espaces urbains ? La photo de rue est surtout un état d’esprit, celui de capturer des instants sur le vif dans l’espace public. On pourrait presque parler d’un art de vivre, car l’observateur ne cesse jamais d’observer et le photographe passionné est souvent un observateur compulsif. Les espaces côtiers hébergent des stations balnéaires, lieux de villégiature prisés de touristes avant tout désireux de se prélasser en échappatoire au quotidien effréné.
Les touristes relâchent les barrières de la méfiance, abandonnés au loisir, offrant des opportunités parfois plus faciles aux photographes pris pour touristes, dans un contexte qui plus est différent de la rue qui renouvelle le regard et ravive la créativité des chasseurs d’image. Les habitudes des vacanciers plagistes en apprennent souvent beaucoup sur le fonctionnement d’une société, ce que Tony Ray-Jones avait compris en photographiant le premier les bords de plage britanniques.
Les lieux touristiques en général, pour vous fondre dans le paysage
De façon plus générale, les lieux touristiques sont d’abord facile pour les photographes. Dans ce type de contexte, nombre de vos congénères se muniront également d’un appareil photographique. Arborez l’accoutrement du touriste le plus approprié, et vous vous fondrez dans le décor pour produire des images. De plus, ces lieux fréquentés le sont souvent pour une raison d’abord esthétique, ce qui offre généralement un harmonieux décor aux images. Couplé à l’effervescence des touristes en quête de découvertes, vous obtiendrez un cocktail susceptible d’aboutir à des photographies dignes d’être regardées à nouveau.
Le meilleur terrain de jeu se trouve où vous vous sentez bien
Au-delà de tous les conseils, il est important de s’interroger sur vos propres aspirations. Inutile de s’acharner à photographier des lieux qui ne vous attirent pas, vous mettent peu à l’aise ou ne sont pas cohérents avec vos projets photographiques. Posez-vous d’abord la question du sens de votre démarche. Si la photographie de rue comporte une forte part d’imprévu, il est toutefois important d’avoir une intention photographique, laquelle aura de bonnes chances de vous guider vers un lieu d’intérêt ou un autre. Quitte à s’écarter des lieux évident pour s’approprier un projet photographique. Ainsi, s’éloignant du confortable cadre esthétique et théâtral des marchés, Martin Parr s’est interrogé sur les lieux de consommation alimentaire émergeant dans les années 80, investissant les supermarchés britanniques pour capturer des images saisissantes, témoignant d’une course folle à la consommation avec le regard caustique qu’on lui connaît…