La photographie culinaire à Lyon avec Julien Mazille
Julien Mazille est photographe à Lyon. Professionnellement, il se consacre à la photographie culinaire. Nourri d’influences artistiques très diverses, ce touche-à-tout également féru de photo de rue propose une imagerie pleine de fraîcheur, caractérisée par un usage radical de la couleur et une habile économie de moyens en matière de composition. Si le portfolio de Julien est inspirant, c’est aussi son éthique de travail qui m’a touché : à rebours des clichés sur une pratique de la photographie culinaire redondante et plan-plan, Julien explore l’univers culinaire au travers d’images empreintes d’une rigueur et d’une précision systématiques. En gardant pour fil conducteur la satisfaction des besoins du client.
Sommaire
- Peux-tu te présenter en quelques mots ?
- Au départ, tu es photographe de rue. Quel cheminement t’a mené à la photographie culinaire ?
- Que réponds-tu à ceux qui prétendent que tout le monde peut photographier son assiette ?
- Quelles sont les qualités d’un bon photographe culinaire ?
- Qu’est-ce qu’une photo culinaire réussie ?
- Ton style est très épuré avec des compositions graphiques et des couleurs franches. Quelles sont tes influences ?
- Ta photo de chamallow mêle simplicité et sophistication : peux-tu nous parler de l’histoire de cette photo, de l’idée à sa réalisation ?
- Le matériel photographique est spécifique dans le domaine culinaire : quel est ton outil de travail favori ?
- Travailles-tu en lumière naturelle ou artificielle, et pourquoi ?
- Les exigences de tes clients ne sont pas forcément cohérentes avec ton idéal photographique : comment concilier ces deux approches ?
- Quel est ton processus de construction d’une image dans le cadre d’une collaboration avec un client ?
- Comment envisages-tu l’évolution de ton activité dans les prochaines années ?
- Choisir un photographe culinaire à Lyon peut relever du défi : quels conseils donnerais-tu aux professionnels pour trouver le photographe qu’il leur faut ?
- Le métier de photographe nourrit beaucoup de fantasmes : que dire à ceux qui veulent se lancer ?
- Au-delà du domaine culinaire, tu es passionné de photographie et d’art au sens large : peux-tu nous parler de tes autres projets ?
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis photographe culinaire à Lyon et je travaille avec des professionnels du secteur agro-alimentaire (entreprises, restaurants, coffee-shops) dans toute la France. Mon travail s’inscrit dans le cadre d’une imagerie graphique, gourmande et minimaliste. À mes heures perdues, je pratique également la photographie artistique avec une affection particulière pour la photographie de rue.
Au départ, tu es photographe de rue. Quel cheminement t’a mené à la photographie culinaire ?
Mon parcours photographique est sensiblement différent de ce que je présente en ligne. En vérité, mes premières photographies n’avaient pas pour sujet principal la rue, comme peut le laisser penser mon portfolio. Lorsque j’ai découvert la photographie de rue, j’avais déjà touché à d’autres domaines comme: la photographie de portraits, la photographie de paysages, la photographie animalière et la photographie culinaire. À vrai dire je partais un peu dans tous les sens.
Néanmoins, en me documentant sur le processus d’apprentissage de la photographie, je me suis rendu compte que si je voulais approfondir ma pratique et m’améliorer dans ma discipline, il était nécessaire que je me spécialise, bien que le cœur n’y fut pas au départ et que ce que je désirais au plus profond de moi-même c’était de saisir l’instant, sans stratégie ni intentions particulières. Cette absence d’engouement à l’idée d’une spécialisation s’est atténuée lorsque j’ai découvert le travail de deux photographes de rue contemporains: Joshua K. Jackson et Craig Whitehead (alias Sixstreetunder). Je me souviens avoir été marqué par la puissance des compositions épurées du premier et très touché par le sens de l’équilibre du second. C’est à peu près au même moment que la rue est devenue mon terrain de jeu favori.
À cette époque, je comprenais déjà l’importance que la photographie allait prendre dans ma vie et j’ai très vite eu pour ambition d’en vivre afin de pouvoir y consacrer l’essentiel de mon temps. J’ai donc photographié frénétiquement les rues de Lyon, de Paris et de Marseille, sans avoir d’objectif défini ni d’agenda particulier. Ce que je souhaitais avant tout c’était de me construire un portfolio et de me trouver à travers ma photographie. Au bout de quelques mois de pratique, mes influences avaient évolué et je savais, alors, ce que je recherchais en photographie de rue : une poétique de la lumière et de l’instant. Cependant je n’étais pas assez mûr, encore, pour produire des images puissantes qui m’auraient valu la reconnaissance de mes pairs. Il me manquait les fondamentaux techniques que seule la photographie de studio peut apporter.
Comme j’adore manger, ce qui me coûte plusieurs heures de sport chaque semaine, je me suis dit que la photographie culinaire pourrait à la fois m’apporter les bases techniques dont j’avais besoin, tout en m’offrant la possibilité de mettre mes compétences au service des métiers de bouche. J’ai construit un portfolio en quelques semaines et j’ai immédiatement commencé à démarcher des restaurants, des entreprises, des hôtels. À ma grande surprise, je me suis rendu compte que la demande était importante et que mon style plaisait. La photographie culinaire est rapidement devenue une passion, au même titre que la photographie de rue, car en plus de la dimension artistique s’ajoute la dimension humaine et la satisfaction d’œuvrer au succès d’un projet collectif. C’est très épanouissant.
Que réponds-tu à ceux qui prétendent que tout le monde peut photographier son assiette ?
Je leur réponds qu’ils ont raison. Fondamentalement, ils ont les moyens techniques de le faire et c’est une véritable chance d’avoir cette possibilité. Je pense au restaurateur qui n’a pas le budget de faire appel à un photographe et qui souhaite tout de même promouvoir ses créations. Il y a quinze ans, il aurait fallu qu’il achète un appareil photo, qu’il imprime des flyers, qu’il les distribue dans sont quartier, ou qu’il envoie une photo à la rédaction d’un journal local afin de faire la publicité de son établissement. Aujourd’hui, il lui suffit d’avoir un smartphone pour photographier des plats et assurer leur promotion. En soi, je trouve ce progrès technologique extrêmement intéressant. Ce qui compte, c’est que les photographies produites répondent aux ambitions de celui qui les produit.
Maintenant, d’expérience, je sais que cette possibilité technologique se retourne la plupart du temps contre celui qui lui fait une confiance aveugle. « Pouvoir prendre des photos » ne signifie pas : « Savoir prendre des photos ». Or, à une époque de démocratisation de la photographie, la concurrence est rude et il est indispensable de pouvoir se démarquer. C’est là que l’expertise du photographe culinaire entre en jeu. Il est au courant des tendances, il connait la recette pour une lumière parfaite, des couleurs complémentaires, une composition équilibrée et un plat visuellement appétissant.
Quelles sont les qualités d’un bon photographe culinaire ?
Je conçois la photographie comme une pratique existentielle. C’est un medium dont j’apprends à me servir et qui, en retour, m’apprend énormément sur moi-même. Mon tempérament impulsif est tombé amoureux du processus photographique car il permet d’avoir un résultat immédiat. Je suis un photographe du numérique. J’éprouve une énorme satisfaction à capturer l’instant tout en ayant la possibilité de savoir, dans la fraction de seconde qui suit, que je l’ai capturé pour l’éternité. C’est une sensation très plaisante.
Lorsque j’ai commencé la photographie culinaire, je l’ai fait comme un photographe de rue, comme un photographe d’instants décisifs. Or, la photographie culinaire m’a obligé à développer d’autres qualités dont la créativité, la patience et une forme de perfectionnisme. Chaque composition demande des heures de travail et peut toujours être poussée plus loin. De plus, je me suis rendu compte que c’est souvent lorsqu’on pense avoir épuisé un sujet que de nouvelles pistes apparaissent. Sur le plan des qualités humaines, je pense donc que la patience et le perfectionnisme sont clefs.
Qu’est-ce qu’une photo culinaire réussie ?
C’est d’abord une photo qui donne faim. L’essentiel des projets pour lesquels un photographe culinaire est requis sont d’ordre publicitaire. Il faut donc se mettre à la place du client: si le photographe n’est pas en mesure de produire une imagerie qui éveille les papilles du consommateur, il ne sera pas embauché pour le projet.
Si cette affirmation peut paraitre très subjective au premier abord (d’un individu à l’autre l’appétit n’est pas éveillé par les mêmes produits) il existe objectivement des erreurs à éviter qui peuvent gâcher une composition culinaire. La fraîcheur d’une feuille de salade n’est plus la même après deux heures de shooting, une sauce n’a pas la même couleur chaude que froide, les lampes de studio chauffent les aliments et leur font perdre de leur éclat. En règle générale, il faut toujours travailler avec des aliments très frais et soigneusement choisis.
Ensuite, il est important de réaliser une photographie qui va se démarquer de la concurrence. On en vient ici à aborder la question du style. Il existe des milliers de photos de burgers sur internet, mais en quoi la nôtre va-t-elle sortir du lot et attirer l’oeil des clients? La pré-production est donc clef: il faut que la photo soit bien pensée en amont.
Ton style est très épuré avec des compositions graphiques et des couleurs franches. Quelles sont tes influences ?
J’ai toujours pensé que les compositions épurées étaient souvent les plus efficaces. En effet, les compositions complexes peuvent faire perdre de vue l’intention du photographe. Cela est vrai en photographie culinaire comme ailleurs et d’autant plus juste à une époque où l’essentiel de la production photographique est consommé depuis un écran de smartphone. Le spectateur n’a pas de temps à perdre à essayer de déchiffrer l’image: ce qui se conçoit simplement doit être énoncé clairement.
Aussi, une part importante de mon activité consiste à comprendre ce qui se vend et il se trouve que ce style, franc et épuré, est très en vogue aujourd’hui. Mes influences proviennent donc essentiellement de magazines de mode, de panneaux publicitaires et de photographes très demandés dans le milieu du culinaire: je pense à Lucy Ruth Hathaway, Scott Choucino, ou encore Davide Luciano.
Ta photo de chamallow mêle simplicité et sophistication : peux-tu nous parler de l’histoire de cette photo, de l’idée à sa réalisation ?
Pour revenir à une question posée précédemment, lorsque tu me demandais ce que je répondrais à ceux qui pensent que « tout le monde peut photographier son assiette », la photographie de chamallow est précisément une illustration des limites auxquelles les compétences du photographe amateur se confronte. Je pense qu’une telle photo n’est pas réalisable sans une bonne connaissance de l’univers du culinaire et une maîtrise parfaite de son matériel. J’ai dû moi-même me faire aider.
Cette image est le résultat d’une collaboration avec ma conjointe, Sarah Augier, passionnée de stylisme culinaire, avec laquelle nous avons pour ambition d’ouvrir bientôt une agence afin d’unir nos compétences dans le cadre d’une structure où le client bénéficiera à la fois du volet stylisme et du volet photographique. Sur un shooting, le métier de photographe et le métier de styliste culinaire sont bien distincts dans la mesure où le photographe culinaire s’occupe essentiellement de la prise de vue (lumière, composition, équilibre général de l’image), là où le styliste se charge de la conception et de la mise en scène des produits. Pour faire simple, le styliste culinaire c’est le set design, c’est celui qui se charge de matérialiser le concept. Il m’arrive parfois d’endosser les deux rôles mais cela se fait souvent au détriment du volume de production et de la qualité des images: deux cerveaux sont toujours plus efficaces qu’un seul, surtout quand ils se comprennent bien.
Pour en revenir à notre chamallow, nous voulions travailler ce produit dans le cadre d’une composition minimaliste. L’idée de départ était de maintenir le chamallow avec une pique en bois à la verticale et de le plonger dans du chocolat fondu. Nous nous sommes heurtés à de nombreuses difficultés lors de cette prise de vue. D’abord, la texture du chocolat n’était pas bonne, trop liquide ou pas assez, aussi il figeait rapidement car nous ne maîtrisions pas la technique pour produire un véritable chocolat fondu, comme celui que l’on trouve dans les fontaines de chocolat. Ensuite, les piques en bois ne flattaient pas l’équilibre général de l’image. Nous avons donc essayé avec une fourchette, sans plus de succès.
Ce n’est que lorsque nous allions abandonner que ma conjointe m’a fait remarquer que l’esthétique du chamallow évoquait d’assez prêt celle d’un sushi et que nous pourrions le maintenir avec des baguettes. Sarah a donc imaginé un support pour maintenir les baguettes en équilibre tout en maintenant le chamallow. Le succès de cette image réside dans la conquête de cette difficulté technique: serrer suffisamment pour que le chamallow tienne en place lorsque nous l’arrosions de chocolat, mais pas trop tout de même pour que la friandise ne soit pas écrasée par les baguettes. Après plusieurs essais, nous sommes arrivés à un résultat qui nous plaisait, très éloigné du projet initial mais ô combien plus réussi. C’est une bonne illustration de ce dont je parlais plus haut, je crois, quand je disais qu’une photographie culinaire demandait toujours à être poussée plus loin.
Le matériel photographique est spécifique dans le domaine culinaire : quel est ton outil de travail favori ?
Avec la photographie culinaire j’ai dû tout réapprendre et m’équiper d’un matériel que je n’avais pas. La photographie de rue permet de travailler à moindre coût, avec un matériel très minimaliste : pour pouvoir s’amuser il suffit d’un boîtier, d’une focale fixe, et d’une dragonne éventuellement. Cela est moins vrai pour la photographie de studio qui tolère mal l’économie. Par exemple, rien n’empêche de shooter en mode connecté avec un câble usb standard et tolérer les pertes de signal occasionnelles entre l’ordinateur et le boîtier. En revanche, dans le cadre d’une prestation photo culinaire professionnelle, lorsque vous avez une équipe de marketing qui vous accompagne sur un projet, cela n’est pas envisageable: seuls les câbles de la marque Tether Tools permettent une connexion infaillible, bien qu’ils soient beaucoup plus onéreux. De la même manière, toutes les lumières ne se valent pas: il vaut mieux un flash à 1000 euros et un kit (boîtier + zoom) acheté d’occasion sur internet à 300 euros, plutôt qu’une torche à 200 euros et un kit à 1200 euros. Je pourrais multiplier les exemples à l’infini mais en règle générale je conseillerai toujours d’investir dans un matériel de qualité pour travailler dans un certain confort et ainsi pouvoir se concentrer sur l’essentiel: la qualité des images.
J’ai débuté ma carrière avec un trépied bas de gamme acheté dans une grande enseigne multimédia que l’on trouve partout en France. À chaque fois que je faisais un pas un peu brutal à moins de deux mètres du trépied, le boîtier bougeait. J’étais alors obligé de revérifier mon cadrage avant de shooter. Parfois, si je faisais des photos composites(plusieurs prises de vue assemblées dans photoshop), j’étais contraint à recommencer mon shoot depuis le début. Un jour, j’ai équipé mon boîtier d’un zoom assez lourd et, alors que j’étais à l’autre bout de la pièce, j’ai vu mon trépied commencer à pencher en avant. J’ai réussi à le rattraper de justesse avant qu’il ne tombe. Ce n’est qu’au moment de cette catastrophe heureusement évitée que j’ai pris la décision d’investir dans un nouveau trépied. J’ai fait l’acquisition d’un trépied professionnel de la marque Vanguard et c’est un bonheur absolu de shooter avec. Ça peut paraître idiot, mais il est devenu mon outil de travail favori. Je sais que ce n’est pas très sexy, et ça l’est encore moins que de dépenser 400 euros dans un trépied, mais je pense qu’en termes de matériel ce sont ces petits à côté, qui ne paraissent rien à un photographe débutant, qui font toute la différence.
Travailles-tu en lumière naturelle ou artificielle, et pourquoi ?
Autant que possible en lumière artificielle car elle permet un contrôle absolu de la lumière et des ombres. Il m’est arrivé une fois de travailler dans un restaurant en lumière naturelle. Le soleil jouait à cache-cache derrière les nuages et je devais modifier mes réglages constamment. De plus, les prises de vue en lumière naturelle ne correspondent pas vraiment à mon style. J’ai besoin d’un éclairage puissant en mesure de faire ressortir le contraste. Or, la lumière diffusée d’une fenêtre répond rarement à mes besoins.
Néanmoins, si cela n’est pas possible sur un shooting culinaire pro, il faut travailler avec ce qu’on a sous la main. En règle générale, il est important de toujours savoir dans quel environnement nous allons travailler. On peut demander au client des photos de l’endroit où le shooting aura lieu. Aussi, même si je travaille dans une pièce lumineuse et que le ciel ne semble pas être trop changeant, je bloque toujours au maximum les sources lumineuses pour pouvoir contrôler la lumière grâce à une lampe. J’ai bien conscience que certains photographes travaillent bien en lumière naturelle mais d’expérience je trouve qu’il y a beaucoup d’aléatoire dans une telle démarche et la confiance que le client met dans mon travail m’empêche de prendre un tel risque.
Les exigences de tes clients ne sont pas forcément cohérentes avec ton idéal photographique : comment concilier ces deux approches ?
Globalement, j’ai la chance de travailler avec des clients qui me choisissent pour mon style photographique. Dans l’absolu, la concurrence est suffisamment importante aujourd’hui pour que le client puisse choisir un photographe dont l’idéal photographique correspond plus ou moins à la vision qu’il a pour son projet. Le fait d’entretenir un idéal photographique tranchant semble être un frein pour beaucoup de photographes professionnels. Je pense au contraire qu’il s’agit d’une force qui permet de se démarquer et d’être facilement identifiable. Cela démontre également une certaine confiance dans ce que l’on fait, une capacité à discriminer ce qui est conforme à une ligne directrice et ce qui ne l’est pas. En effet, notre style peut ne pas plaire à tout le monde mais au moins, quand on est engagé par un client, on sait pourquoi on l’est, ce qui permet une plus grande liberté sur un shooting.
Bien que la dimension créative soit toujours présente, même dans les projets les plus simples, il m’arrive d’être sollicité pour des prestations qui ne stimulent pas directement mon idéal photographique. Le bouche à oreille étant notre meilleur outil marketing, il arrive que des professionnels du secteur agro-alimentaire me contactent car d’anciens clients m’ont recommandé. Pour beaucoup de gens, le volet professionnel (capacité à l’écoute, à la communication, à répondre sérieusement aux besoins du client) compte beaucoup plus que le volet créatif. Lorsqu’un restaurant me demande de photographier ses plats, l’essentiel du stylisme est réalisé par le chef, c’est donc pour ma justesse technique que l’établissement me fait confiance et je dois dire qu’être sollicité dans ce cadre m’honore autant que de l’être pour ma capacité à être fidèle à mon style ou à mon idéal photographique. Quelles que soient ses exigences, la commande du client est reine.
Quel est ton processus de construction d’une image dans le cadre d’une collaboration avec un client ?
Le succès d’un shooting est étroitement corrélé avec le degré de communication établi entre le client et le photographe: plus on communique, plus le projet est réussi. Cela est vrai pour toutes les phases du processus: en amont du shooting, le jour J, ainsi qu’en phase de post-production.
Dépendant de la complexité du projet, j’envisage entre 1 et 3 entretiens téléphoniques en amont du shooting pour m’assurer que nous sommes bien sur la même longueur d’onde avec le client. Lors du premier entretien, il s’agit de cadrer le projet et ses conditions de réalisation techniques: Où a lieu le shooting? Combien de prises de vue à effectuer? Avec ou sans stylisme culinaire? Dans quel esprit? Type de diffusion des images (Web, Print, Exposition)? Cette première phase est importante dans la mesure où elle me permet de chiffrer le projet et d’établir un devis pour le client. C’est aussi lors de ce premier entretien que je m’efforce de traduire le plus concrètement possible la vision du client. Récemment, un client m’a dit vouloir des images dans un « style pop ». Or, ce type de vocabulaire, très imagé, ne fait pas écho chez tout le monde de la même façon. Pour certains, cela veut dire « paillettes et boules à facettes » quand pour d’autres cela signifie simplement « fonds colorés ». Il s’agit donc de travailler sur la sémantique et de transcoder la vision du client dans des termes simples et dans lesquels toutes les parties pourront s’identifier.
Exemple:
- Demande formulée par le client: « J’aimerais une photographie de céréales dans un style pop »
- Demande reformulée après entretien: « Prise de vue de céréales dans un bol bleu sombre, sur fond bleu électrique et avec éclaboussures de lait. Proximité: macro ; Angle: de face. »
Dans le cadre de gros projets, il est parfois nécessaire de fixer d’autres entretiens téléphoniques pour échanger à nouveau autour de moodboards et de notes d’intentions. Cela est surtout nécessaire sur les prestations avec stylisme culinaire.
Le jour J, il est indispensable que la/le responsable marketing soit présent car je demande toujours validation de la composition au moment de la prise de vue. En général, je propose au client une composition équilibrée et qui répond à la ligne directrice que nous nous sommes fixés en pré-production. Le plus souvent il valide mais parfois il peut trouver que tel ou tel élément n’est pas assez mis en avant. Alors je modifie la composition jusqu’à ce qu’il trouve satisfaction. Néanmoins, il ne faut pas oublier que le client fait appel à un photographe culinaire pour son expertise et il ne s’agit pas de bousculer la composition aveuglément au détriment de l’équilibre général de l’image. Toutes les compositions doivent être réalisées dans le cadre d’un dialogue constructif avec le client. Mais il y a une règle d’or à laquelle je ne déroge jamais: aucune photo ne doit aller en post-production sans avoir été validée par l’équipe de communication.
Une fois les prises de vue réalisées, le travail est loin d’être terminé: c’est la phase de post-production. Dès que j’ai terminé la retouche des images j’envoie les fichiers en JPEGs au client, lequel doit me faire un retour sous 72 heures et me faire part de son avis sur : la colorimétrie, le contraste, la luminosité, etc… À ce stade, il peut me demander de retoucher à nouveau quelques images. Une fois les retouches effectuées, j’envoie un dossier final au client avec: les fichiers TIFF pour impression, ainsi que les JPEGs haute résolution pour le web.
Comment envisages-tu l’évolution de ton activité dans les prochaines années ?
Aujourd’hui, rien n’est plus important pour moi que la qualité de ma photographie. J’ai encore de nombreux challenges à relever sur le plan créatif et, si mon portfolio peut sembler abouti de l’extérieur, il ne me convient pas encore totalement: il faut que j’affirme davantage mon style. Ce qui compte pour moi, c’est de viser l’excellence dans mon domaine. Bien sûr, la partie professionnelle est importante, car il faut bien être en mesure de payer ses factures et de faire tourner son business, mais je n’ai pas d’ambition démesurée à ce niveau là. Je pense qu’assez naturellement, si la qualité de mon portfolio s’améliore, j’attirerai des clients plus importants. Nous pourrons alors monter notre agence avec ma conjointe et répondre à des projets d’envergure toujours plus grande.
Step by step, comme disent nos amis anglo-saxons.
Choisir un photographe culinaire à Lyon peut relever du défi : quels conseils donnerais-tu aux professionnels pour trouver le photographe qu’il leur faut ?
Autrefois, on contactait un photographe sur les Pages Jaunes sans avoir connaissance de la qualité de sa production. Aujourd’hui, en quelques minutes sur internet, on a la possibilité de choisir celui qui sera le mieux à même de mener à bien un projet de communication. Ce n’est pas un défi, c’est une chance. Cela peut effectivement relever du défi si l’on ne sait pas exactement ce que l’on cherche. Il m’arrive parfois, à 10 heures du soir, de recevoir des sms de cet ordre : « C combien pour des photos? ». Je crois que la clef est que le projet soit bien pensé en amont: nombre d’images souhaité, construction de moodboards, type de diffusion, orientation des clichés. Ainsi, on se met en bonne position pour trouver facilement un photographe sur-mesure. Bien sûr, des interrogations peuvent subsister et le photographe se fait généralement un plaisir de participer à la construction du projet, mais l’essentiel doit être cadré en amont.
Ensuite, il y a la question esthétique. J’encouragerais donc les professionnels du secteur alimentaire à explorer le travail de plusieurs photographes culinaires. Je me suis rendu compte avec l’expérience que la recherche d’un photographe culinaire relevait souvent d’un choix panique, de dernière minute. Or cette précipitation incite parfois à des choix sous-optimaux. Il existe une grande variété de photographes, d’approches et styles. Ce dont il faut prendre conscience, c’est qu’un photographe est prisonnier de ses forces: il produira son meilleur travail dans le cadre de projets dont l’esprit correspond étroitement à son esthétique. Lorsqu’un photographe produit un portfolio dans un style précis, ce n’est pas pour dire : « je ne veux travailler que sur des projets comme ça ». Encore une fois, je crois qu’un photographe culinaire doit être capable de tout faire. Il s’agit plutôt de faire comprendre aux professionnels : « Voici l’univers au sein duquel je produis mon meilleur travail et, in fine, dans le cadre duquel vous obtiendrez de moi le meilleur ».
Le métier de photographe nourrit beaucoup de fantasmes : que dire à ceux qui veulent se lancer ?
Le métier de photographe nourrit beaucoup de fantasmes mais je ne crois pas que ce soit une mauvaise chose. Il faut une part de fantaisie, voire de folie, pour que nos rêves se matérialisent un jour. Je dirais même qu’il faut protéger cette illusion car c’est elle qui nous permet d’affronter les rudesses du métier quand elles se présentent. En effet, quand la passion devient métier, nous sommes appelés à prodiguer un service à un tiers, ce qui comporte des devoirs et des obligations pas toujours agréables: établir un devis n’a rien d’excitant. Et je ne parle pas ici des salaires fluctuants, des périodes d’inactivité où le doute et la peur nous habite, des tâches administratives pénibles mais obligatoires, des longues matinées de printemps passées à prospecter devant un écran d’ordinateur, des retards de paiement sur lesquels il faut être vigilant, de la solitude de l’auto-entrepreneur ou de la législation, ô combien complexe, du métier de photographe. Sans une part de fantasme, sans un pourquoi fort, je pense qu’on est moins armé pour traverser ces difficultés. Enfin, il faut se dire qu’on pourrait toujours être « plus prêt » ou « mieux informé ». Il faut rêver et se lancer, car dans bien des cas l’action trompe la connaissance.
Il y a néanmoins un biais informatif qui existe chez beaucoup de photographes qui souhaitent se lancer car ils tiennent l’essentiel de leur représentation du métier de la part de photographes qui ont réussi et qui dispensent leur savoir sur internet. Or, à l’exception de quelques-uns, ce sont rarement les aspects les moins glamours du métier qui sont dévoilés, ce qui peut alimenter des représentations erronées chez ceux qui aspirent à en faire leur profession. Aussi, il faut savoir que c’est un métier qui n’est pas vraiment régulé. Certes, il y a des tarifs de base mais qui sont rarement respectés et vous devrez faire face, parfois, à une concurrence déloyale. Il est également nécessaire de garder à l’esprit qu’il s’agit d’un métier où certaines qualités sont requises: la ponctualité, le respect des dates butoirs, l’écoute, des compétences rédactionnelles et comptables.
En guise de conclusion je dirais que, si une bonne connaissance du métier est nécessaire en amont, vous serez confrontés, quelque soit votre degré de préparation, à des situations imprévisibles qui vous apprendront bien plus que toutes les idées que vous vous faîtes sur la profession. Lancez-vous, c’est un beau métier!
Au-delà du domaine culinaire, tu es passionné de photographie et d’art au sens large : peux-tu nous parler de tes autres projets ?
Depuis mon adolescence j’ai exploré de nombreux mediums, dont l’écriture. Ce n’est qu’arrivé dans ma vingtaine que j’ai compris que je m’exprimais mieux en images, c’est pourquoi je pense que la photographie occupera une place de choix dans mon coeur jusqu’à la fin de mes jours. J’ai commencé mon parcours photographique avec la photographie artistique que je continue à pratiquer assidûment en parallèle du culinaire dans le cadre de nombreux projets. Je travaille entre autres sur un projet de photographie de rue à Marseille, une ville que je trouve magique pour sa puissance, ses lumières, sa pluralité culturelle. C’est un lieu qui vient directement parler à mon ADN. Ceux qui sont intéressés pourront trouver la série en cours ici : julienmazille.myportfolio.com
Aussi, j’anime une chaîne Youtube qui a pour ambition de lier mes passions pour l’art, pour la philosophie et pour la question éthique qui, je crois, est essentielle si l’on souhaite réaliser ses ambitions tout en conservant une certaine hygiène mentale. Il s’agit d’un lieu que j’espère laisser aux générations futures comme une bibliothèque, pleine de pistes pour une vie heureuse, et que certains pourront utiliser pour se façonner une existence riche de sens. C’est un exercice qui me permet de concilier mon envie d’écrire avec l’image. La vidéo est un univers passionnant que j’espère avoir la chance d’explorer tout au long de ma vie.
2 commentaires
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Beau travail quand la créativité et l’innovation rencontrent le talent et l’expérience.
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Un photographe à suivre assurément !