Discrétion en photo de rue : 8 techniques pour passer inaperçu
En photo de rue, lorsqu’on cherche à préserver l’authenticité des moments, la discrétion est la règle. Henri Cartier-Bresson, ce maître de l’effacement, tenait ces propos d’une grande justesse : « Pour passer inaperçu il faut tirer le premier : vite, vite, vite ! Et avoir l’air suffisamment idiot. » Je vous propose modestement d’éclairer ces propos par huit techniques que j’emploie en photo de rue pour me faire oublier.
Sommaire
- 1 – Préparer ses réglages pour réagir rapidement
- 2 – Pour plus de discrétion, ayez l’air idiot
- 3 – Faites mine que vous filmez
- 4 – La technique du rendez-vous comme gage de discrétion
- 5 – Shooter au 35mm
- 6 – La discrétion se joue dans l’évitement des regards
- 7- Sentir quand on dérange
- 8 – Comment réagir en cas d’indiscrétion ?
- Conclusion
1 – Préparer ses réglages pour réagir rapidement
N’avez-vous jamais vécu la frustration d’une scène qui vous échappe par simple manque de préparation ? La fugacité est l’essence même de la photo de rue : il faut se tenir prêt à figer l’image avant qu’elle ne s’évapore dans les sphères de l’oubli. Personnellement, j’ai pris l’habitude de régler manuellement mon appareil photo. Avec l’expérience, les conditions lumineuses appellent des paramètres de sensibilité, d’ouverture et de temps de pose similaires. Par exemple, je sais qu’en fin de journée d’été à Lyon, le triplet Iso 200, vitesse 1/1000, ouverture f8 a de bonnes chances de tomber juste en termes d’exposition. Préférer un objectif plutôt fermé pour optimiser la zone de de netteté. En matière de réglages, je ne pense pas qu’une méthode soit meilleure qu’une autre : manuel, automatique, semi-automatique, cela importe peu. Ce qui compte, c’est l’habitude qu’on développe de ces réglages, de sorte qu’on les intègre machinalement. Avec la pratique, on finit par ne plus vraiment y penser, pour se concentrer sur ce qui compte : l’action !
Impossible ici de saisir cette scène sans être prêt. Aux abords d’une sortie de métro à Toulouse, j’ai attendu que des passants suffisamment expressifs émergent de l’escalator de sortie. Mes réglages en place, je me suis concentré sur la rigueur de la composition pour figer l’intimité de ce couple au bon moment.
2 – Pour plus de discrétion, ayez l’air idiot
La photo de rue, c’est d’abord l’école de l’humilité, celle qui nous débarrasse de l’égo. Vous connaissez peut-être la méthode Garry Winogrand, que vous pouvez découvrir en action ici. Pour ma part, je la trouve assez saisissante. Ce photographe prétend ne pas maîtriser son matériel, manipulant fébrilement les boutons à la manière d’un débutant. C’est ainsi que cette posture aidant il relâche les méfiances de ses sujets, lesquels devenus insouciants lui laissent le loisir de produire des chefs-d’oeuvre. La photo de rue, c’est l’art de la dissimulation. Se trouver là on ne vous croit pas être, oser ce que d’autres jugeraient inapproprié ou outrecuidant. Je dois vous avouer qu’il y a une forme de jouissance à jouer ainsi les benêts, savourant le plaisir dissimulé du coup d’avance…
3 – Faites mine que vous filmez
J’ignore pourquoi, mais j’ai remarqué que l’action de filmer est moins sujette à polémique dans l’espace public comparativement à l’exécution d’une photographie. Sans doute parce qu’il est plus difficile de se sentir directement visé par un objectif en mouvement. La banalisation des séquence vidéo de rue à destination des réseaux sociaux a peut-être aussi des effets sur l’anonymat de la pratique. Quoi qu’il en soit, quand j’identifie une sorte de défiance ou un air suspicieux, j’utilise ce stratagème qui suffit le plus souvent à détourner l’attention ou à entretenir un doute salutaire auprès d’un sujet trop intéressé : je me contente alors de mouvoir mon appareil photo vers la gauche ou la droite de la manière la plus concentrée du monde, en toute discrétion.
4 – La technique du rendez-vous comme gage de discrétion
Une bonne manière de se faire oublier, c’est de prétendre avoir rendez-vous, jouant son rôle sans la nervosité du mauvais comédien qui éveille une attention inquisitrice. Au bout de quelques minutes, vos sujets auront sans doute fini par vous ignorer : votre présence fait désormais partie d’un environnement familier et perçu comme non menaçant. Cette technique de dissimulation se prête aux lieux de rencontre évidents, qui sont souvent l’objet d’interactions insolites.
Je me promenais à Lyon à la recherche de la prochaine image, jusqu’à atteindre la fontaine Bartholdi située Place des Terreaux. Cette sculpture spectaculaire, symbole de la ville récemment rénové, attire l’attention de nombreux passants pour sa photogénie. Je me suis assimilé à ce public pour immortaliser cette scène qui me plaît beaucoup : je trouve une certaine gravité au geste désoeuvré de cette enfant en mal d’attention. Je pense que ma présence sur les lieux pendant quelques temps a contribué à libérer la défiance de cette maman plongée dans des lectures numériques.
5 – Shooter au 35mm
J’ai remarqué qu’il était plus facile de passer inaperçu avec une focale courte, en particulier quand il s’agit de s’attarder sur une scène. A titre personnel je suis plutôt friand du 35mm. Le champ assez large couvert par cette optique favorise la confusion sur les intentions et le sujet abordé. A l’inverse, un 85mm isole autrement plus un sujet, rendant plus ostensible la démarche.
6 – La discrétion se joue dans l’évitement des regards
Pour préserver une ambiguïté sur ses réelles intentions, je recommande de ne pas croiser les regards. Une manière simple d’éviter cette confrontation oculaire consiste à fixer un point derrière son sujet, ce qui entretiendra le doute. Autre option : jouer l’intérêt pour les toits. Dans ce cas de figure, je porte mon appareil photo à l’oeil comme pour viser les étages supérieurs ; je fais ensuite mine de consulter la photo obtenue sur mon écran, avec l’air absorbé de celui qui juge son cliché médiocre. C’est n’est qu’alors que je déclenche l’image en cadrant à l’écran.
Pour obtenir ce cliché, j’ai commencé par rester un moment à proximité de ce lecteur de journal : il m’a identifié et a fini par prêter davantage d’attention à de fraîches nouvelles plutôt qu’à un touriste en voyage dans la capitale piémontaise. Après avoir réglé mon appareil photo, j’ai pris quelques clichés avant de m’éloigner sans jamais regarder cet personnage pourtant photogénique dans les yeux. C’est le paradoxe du photographe de rue : il faut apprendre à voir furtivement pour mieux percevoir le monde.
7- Sentir quand on dérange
Ces clés de discrétion sont bien sûr à tourner avec précaution. Il me paraît important de doser son degré d’audace en s’adaptant à la réaction de ses sujets. Je cherche à éviter tant que je le peux l’inconfort de mes modèles secrets. D’ailleurs cette condition devrait prévaloir sur la prise d’une image : une tension liée à la présence même du photographe n’a que peu d’intérêt à mes yeux et il me paraît difficile d’obtenir une expression juste dans ce contexte. Je pense en effet que l’observateur ne doit pas interférer avec les acteurs de son théâtre éphémère. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas particulièrement séduit par ce que nos voisins outre-Manche appellent eye-contact. Avec l’expérience, on finit par percevoir plus vite les signes de gêne ou d’agacement : c’est le bon moment pour passer son chemin.
8 – Comment réagir en cas d’indiscrétion ?
Si vous appliquez l’une ou l’autre de ces recettes, vous devriez être rarement confronté à un face-à-face exigeant justification. Pourtant, cela peut toujours arriver. Dans ce cas, je crois que l’honnêteté est la meilleure des réponses. Je n’hésite pas à montrer mon écran quand cela arrive, quitte à complimenter la personne concernée pour justifier mon intérêt. Ce type de flatterie, quand elle est sincère, a peu de chances de manquer sa cible. J’évoque une anecdote sur le sujet dans cet article.
Conclusion
Ce jeu de dupe pose sans aucun doute la question de l’éthique du photographe de rue. Ces stratagèmes autour de la discrétion pour obtenir une image ne s’apparentent-ils pas à une forme de tromperie ? Je reconnais que ces artifices peuvent déranger. Toutefois je pense que ce qui compte avant tout, c’est l’intention fondamentale du photographe. Si elle est noble, elle justifie les entorses aux convenances. Pour ma part, je ne cherche jamais à nuire à mes sujets, me refusant par exemple à les montrer dans un état de faiblesse. Je crois qu’un photographe de rue a la responsabilité morale d’identifier là où il est légitime, et là où il doit s’abstenir d’appuyer sur le déclencheur.
2 commentaires
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Merci pour cet article très complet !
Je trouve intéressant que tu utilises des exemples concrets tirés de ton expérience personnelle pour illustrer ton propos.
Pour ma part la technique Winogrand + l’évitement des contacts visuels est un combo que je trouve diablement efficace!
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Merci bien pour ton retour ! 🙂 Tout à fait d’accord sur l’efficacité de la combinaison que tu évoques !