Ces qualités qui vous rendront meilleur photographe
Comment devient-on un meilleur photographe ? On envisage souvent les leviers de la progression photographique sous un angle technique. Si les compétences techniques jouent un rôle important dans le développement d’un photographe, en particulier à ses débuts, les compétences humaines sont le plus puissant moteur d’épanouissement photographique. En effet, l’acte photographique est intimement lié à sa propre identité. Photographier, c’est proposer sa manière de voir le monde, chose éminemment personnelle par définition. Ainsi, au-delà des savoir-faire, s’améliorer en photographie dans une perspective de long terme revient surtout à travailler un éventail de savoir-être. Je vous propose d’exposer ici dix qualités clés visant à devenir un meilleur photographe.
Sommaire
- Curiosité : reconnaître la beauté du banal
- Confiance en soi : oser photographier en dépassant ses peurs
- Spontanéité : la délectation de l’instant présent
- Ecoute : suivre sa voix intérieure
- Introspection : s’interroger pour progresser en photographie
- Combativité : le défi de l’image forte
- Patience : attendre l’instant décisif
- Sensibilité : empathie et compassion pour ses sujets
- Passion : faire vibrer sa fibre photographique
- Sérénité : la photographie comme apaisement de l’esprit
Curiosité : reconnaître la beauté du banal
Il n’est pas de création sans curiosité. L’acte photographique répond à une envie de découverte. Ou plutôt de re-découverte. Rien de plus barbant que de vouloir capturer le monde tel qu’il est ; rien de plus passionnant que d’en proposer une vision nouvelle. Ludique et joyeuse, intrigante et subversive, profonde et dérangeante, c’est selon. Il n’est pas question de céder aux oripeaux du lointain pour vous renouveler le regard. La curiosité est une vertu intérieure. Elle s’attache au ténu, elle se détourne de l’attendu pour soulever le soupçon de magie qui vous fait voir l’insignifiance en grand : cet agencement subtil, cet équilibre ignoré qui fait pourtant l’ordre des choses. La curiosité vous invite à jeter le regard à vos pieds, au tapis de feuilles qu’ils foulent, littéralement autour de soi, avec cet oeil frais et impressionnable du nouveau-né qui découvre chaque jour un monde.
Le poète est un homme qui a l’imagination et la psychologie d’un enfant. Sa perception du monde est immédiate quelles que soient les idées qu’il peut en avoir. Autrement dit, il ne décrit pas le monde, il le découvre.
Tarkovski, Le temps scellé (1984)
Laissez-vous impressionner par la sublime banalité du monde. Pour accueillir cet état de curiosité, autorisez-vous d’autres pratiques photographiques. Photographie de rue, documentaire, de mariage, de paysage. Elles se nourriront mutuellement. Il ne s’agit pas là de se disperser tous azimuts, mais d’enrichir son expertise. Soyez assoiffés de nouveauté, d’inconnu, d’essais et de tentatives. Le hasard vous le rendra bien.
Confiance en soi : oser photographier en dépassant ses peurs
Que se passera-t-il si je presse le bouton du déclencheur ? Seule la tentative apportera une réponse. Celle-ci sera largement positive et engageante, à condition que l’intention soit bonne. L’appareil photo n’est pas une arme, il n’a pas pour objet l’intrusion. Il a pour objet la révélation. D’instants de beauté. Je conviens qu’il faut un peu d’audace pour déclencher. Oser produire une image, puis une deuxième, puis une troisième… Jusqu’à ce que la peur des débuts s’estompe, pour ne ne plus devenir qu’une habitude qui incite à toujours cliquer davantage. Evacuée cette angoisse paralysante, ce tumulte émotionnel qui vous submergeait, vous reléguant au rôle de témoin d’instants décisifs bientôt évaporés. Il ne vous reste plus qu’un soupçon de trac qui vous anime sans plus qu’il n’intimide. Votre posture gagne en naturel, vous vous sentez à votre place l’oeil dans le viseur.
Pour conforter votre posture, vous n’hésitez pas à échanger quelques mots avec vos acteurs ignorés. Ces mots flatteurs qui ont justifié votre intérêt : une attitude, une lumière, une simple couleur. Au pire, vous répondrez aux apostrophes plus âpres en montrant votre écran aux passants, ce qui suffira à déverrouiller les tensions. Quitte à supprimer une photo litigieuse, car on ne parle jamais que de photographie après tout. Ou alors, vous leur ferez la proposition flatteuse de leur envoyer une photographie, comme acte de gratitude pour l’offrande qu’ils vous auront faite.
Spontanéité : la délectation de l’instant présent
Comme une méditation, la photographie vous fait apprécier les saveurs de l’instant. Cette recherche absolue et intense du présent n’est-elle pas l’essence même de la photographie ? Et si la photographie n’allait-elle même plus loin ? Elle transcende l’instant présent en le figeant pour l’éternité, mutant le vécu en matière précieuse. Il s’agirait dès lors de pratiquer la photographie en oubliant tout le reste : les blessures passées, les angoisses futures, les tourments quotidiens. Se fondre dans la pratique la tête la première, porter attention à ce qui est, seulement à ce qui est. Se laisser porter par le surgissement naturel des idées, les suivre comme si l’on voulait s’y soumettre sans jamais les juger, vivant l’expérience à plein, dans une perspective holistique qui dépasse le geste photographique.
Une photo n’est pas ce qui a été photographié. C’est quelque chose d’autre.
Garry Winogrand
Un tel engagement est bien sûr un défi, tant les idées perturbantes émergent et nous submergent parfois. Mais cet abandon de soi à l’expérience créative pure me semble être un louable idéal pour un photographe. J’ai d’ailleurs souvent remarqué combien cet état de flow convergeait avec la qualité des images engendrées.
Ecoute : suivre sa voix intérieure
Débuter la photographie revient souvent à copier. Ce qui n’est pas un mal en soi, Delacroix copia bien son maître Rubens. Les plus grands défis surgissent par la suite. Une fois las des redites, quand il s’agit de faire parler sa voix, de suivre sa propre voie. C’est alors que souvent se tend le piège du matériel, simple outil dont la permutation excuserait toutes les lacunes et pousserait au plus haut la créativité. Reconnaître ce premier leurre nous recentre sur l’essentiel. Ce formidable médium d’expression qu’est la photographie n’aspire qu’à entendre votre voix profonde encore assourdie : celle qui synthétise votre sensibilité, dans l’authenticité et le dépouillement.
Faites confiance à la pratique, détachée des modes et tendances. Je vois souvent des travaux de photographes de rue qui me semblent s’égarer à photographier des inconnus dans ce seul but en se trompant de défi. Peut-être le défi ne consiste-t-il pas à s’approcher autant que possible, pour brosser le portrait volé le plus net. Peut-être est-il superflu d’inclure le plus de détails possibles dans le cadre, le plus de sujets, le plus de plans, pour ensuite exposer cet excès sur des médias sociaux flatteurs d’ego. Nous ne sommes pas tous des Christopher Anderson ou des Alex Webb. Peut-être devrions-nous davantage se fier à notre for intérieur. A ces sujets qui nous épanouissent fondamentalement, ceux qui viennent du plus profond de soi, parce qu’ils nous font vibrer, et non pour copier ou répondre aux modes. La pratique honnête et personnelle vous guidera où vous ne soupçonniez pas qu’elle irait, faisant résonner votre monde intérieur.
Introspection : s’interroger pour progresser en photographie
On ne devient pas un bon photographe par hasard. S’il est préférable parfois de laisser infuser les choses sans y toucher, il me semble essentiel d’aménager des temps de réflexion autour de la pratique. Quand on cherche à s’épanouir dans l’exercice d’une discipline, on identifie puis on explore des pistes d’amélioration. La dynamique d’un progrès, les balbutiements d’un début de vision. C’est en formalisant ces réflexions et idées qu’on progresse.
Poser des mots sur les images pour y voir plus clair, à la fois pour comprendre et clarifier sa démarche photographique instinctive, et pour détricoter les freins au progrès. Ces freins relèvent de deux registres : ils sont d’abord techniques bien sûr. Mais ils sont psychologiques surtout. Tout photographe a ses tourments que vous pourriez reconnaître : la question d’une légitimité, le syndrome de l’imposteur, la puissance créatrice, les moteurs de l’inspiration… La dynamique des pensées se nourrit des mots qu’on pose à leur sujet, pour les assimiler et les structurer. Ainsi en est-il du cheminement du photographe qui identifiera dans un cadre formalisé les clés de sa progression.
Combativité : le défi de l’image forte
La photographie porte une part d’accident, que Walter Benjamin qualifie « d’étincelle hasardeuse ». Quand on recherche en particulier la saisie d’instants sur le vif, il est impossible d’exercer un contrôle sur la scène qui se déplie devant soi. Mais s’il est impossible d’agir a priori, il nous est en revanche possible de réagir. On s’adapte à ce qu’un fragment de vie nous offre, en lui faisant l’honneur de le valoriser à l’envi et pour le mieux. Un pas de côté, les genoux pliés, l’appareil photo pointant vers ciel ou le sol… On peut reconnaître le potentiel d’une scène, anticipant ce qu’elle pourrait engendrer. C’est ici qu’entre en jeu la ténacité du photographe. Souvent les premiers clics ne suffiront pas pour obtenir la meilleure photographie. Il faudra redoubler les efforts. Tordre la scène dans tous les sens jusqu’à ce qu’elle se vide de toute sa substance. C’est ainsi que sans regret, convaincu que la sélection des images portera sur les choix les plus larges, gonflé par l’adrénaline de cette quête d’instants précieux, on s’éloignera dans l’excitante perspective d’un autre moment à saisir, l’esprit joyeux et léger.
Patience : attendre l’instant décisif
Le photographe apprivoise le temps. Il réagit au déroulement d’une scène en gestation aussi vite que possible. Puis il travaille cette scène jusqu’à son plein potentiel, continuant patiemment à déclencher jusqu’au moment paroxystique qui fera son bonheur lors de l’editing. Parfois, il croit reconnaître une scène à venir, mais il se trompe. Ou alors c’est le hasard qui s’y mêle et efface l’opportunité avant qu’elle ne se réalise. Parfois, son pressentiment est juste et la chance de son côté. Ces instants sont rares. Il lui faudra des heures de marche et de tentatives inassouvies pour décrocher une bonne image. Souvent il ne rapportera rien. Il faut dire qu’au fil de ses progrès, le photographe gagnera en exigence. Il ignorera dorénavant des images qui auparavant l’auraient pu satisfaire. Il acceptera aussi sa lente progression, parsemée d’exploits erratiques ou de déclics imprévisibles, patiemment infusée de ses inspirations, de la prise de conscience de ses forces et faiblesses, de ses goûts et de ses aspirations profondes.
Sensibilité : empathie et compassion pour ses sujets
Comment produire une image pertinente sans ressentir une forme de proximité envers son sujet ? L’intérêt spontané vers une scène puise nécessairement sa source en soi : si on veut photographier, c’est parce que ce dont on témoigne fait vibrer quelque chose en nous. Je pense que plus on développe son potentiel d’empathie, plus on parvient à produire de bonnes images. Une photographie donne à voir un sujet sous le regard sensible de son auteur. Si ce dernier réussit à se mettre à la place d’autrui, à percevoir les propres émotions du sujet, le portrait qu’il en fera n’en sera que plus fort, plus fidèle, plus authentique. Plus vrai. Une bonne photographie n’est-elle pas indissociable d’une recherche de Vérité ?
Ces considérations ne s’appliquent pas directement aux travaux de commande, où il n’est plus question de choisir ses sujets, mais de répondre avant tout aux besoins d’un client. La liberté d’expression de l’auteur photographe se trouve contrainte par le cadre de la note d’intention. Toutefois, il n’en pose pas moins son regard sensible, en particulier lorsqu’on parle des commandes à caractère documentaire comme les reportages de mariage.
Passion : faire vibrer sa fibre photographique
Sans passion la pratique s’essouffle. Pour alimenter ce feu, il faut trouver sa raison d’être de photographe. Comprendre pourquoi l’on fait cela. Et puis il faut se lancer des défis excitants : des projets photographiques, des objectifs à atteindre. En s’appliquant une éthique de travail qui conduit les projets. Alimenter sa passion, c’est aussi rencontrer des confrères photographes, pour partager et se nourrir des expériences de chacun. C’est s’inspirer, de la manière la plus large possible par la lecture des grands maîtres, dans le domaine photographique ou d’autres genres artistiques : littérature, peinture, musique. Car le photographe raconte des histoires, tire des portraits et orchestre une scène. Cultiver sa passion, c’est sans doute aussi se former. De préférence dans le cadre de workshops de terrain, pragmatiques et concrets, où il ne s’agit pas seulement d’écouter le maître développer sa vision – on peut trouver cela dans les livres -, mais où il s’agit d’abord d’interroger sa propre pratique.
Sérénité : la photographie comme apaisement de l’esprit
Quand un photographe manque de sérénité, cela se voit. Le geste n’est pas assuré, le langage du corps trahit les fragilités, le sujet photographié le perçoit. Comme Ernst Haas, vivez la photographie comme un acte de joie, d’épanouissement et d’apaisement. Soyez un photographe serein, celui qui se contente des petites trouvailles qu’il prendra pour de grandes victoires. Un photographe qui apprend de sa propre expérience, qui se délecte de ses progrès et de sa quête, empli de gratitude. Acceptez de cheminer à votre rythme, dans la jouissance de l’exploration personnelle, sans chercher à concurrencer quiconque. Faites usage du medium photographique comme une expression libératoire, qui vous rend plus proche de vous-même, plus fidèle à votre propre sensibilité, plus sûr de ce ce que vous êtes. Vivez la photographie comme une thérapie vers une vie plus sereine, à l’écart des tourments.
4 commentaires
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Bonjour
Pourriez-vous préciser le lieu de cette belle prise de vue et dans l’ensemble dater vos images?
https://benjaminbeaumont.fr/wp-content/uploads/2021/12/image-forte.jpg
Merci
Cordialement et joyeuses fêtes!
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Bonjour,
Lyon, pentes de la Croix-Rousse ! J’ai pris les photos diffusées ici entre 2018 et 2021. Votre remarque pose la question de légender ses images, les avis divergent sur le sujet (cela donne du contexte mais peut ‘influencer’ l’interprétation)
Bonnes fêtes également !
Ben
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Bonjour,
Je découvre votre site et ce très bel article. Vous y évoquez l’essentiel : « photographier, c’est proposer sa manière de voir le monde » et la photographie un medium qui permet toutes les explorations.
On aimerait entendre plus souvent ce type de propos dans les clubs photos où bien souvent l’apprentissage technique prend le dessus et où l’on oublie trop souvent de s’interroger sur ce que l’on veut dire en choisissant de faire telle ou telle photo.
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Bonjour,
Merci pour votre commentaire ! Content de voir que mes propos font écho auprès de vous ! Bonne semaine, Benjamin