Trouver son style en photographie
« Le style photographique, c’est vous » disait Fred Herzog. Trouver son style en photographie est un long cheminement. En réalité, affirmer sa vision photographique, c’est s’affirmer soi-même, révéler sa personnalité au travers des images. Si une pratique photographique assidue est un préalable indispensable pour y tendre, l’un des défis consiste à formaliser son travail, c’est-à-dire à poser des mots sur ses propres images. Un autre défi pour trouver son style photographique est de maintenir cet état de curiosité qui nourrit et influence le regard que nous posons sur le monde.
Sommaire
- Qu’est-ce qu’un style photographique ?
- Pourquoi chercher un style en photographie ?
- Qu’est-ce que vous aimez ?
- Posez des mots sur vos images
- Comme Pinkhassov, faites de la photo de rue pour trouver votre voie artistique
- Des références culturelles pour nourrir sa vision
- Le style photographique, c’est vous
- Trouver son style, un processus lent
- Le rôle du matériel photographique
- Le rôle de la post-production
Qu’est-ce qu’un style photographique ?
Le style photographique est un ensemble de caractéristiques propres à un corpus d’images. Ces caractéristiques relèvent de prises de décision techniques et esthétiques. Un style, c’est donc un ensemble de traits communs et saillants qui qualifient l’imagerie d’un photographe.
Si la vision personnelle de chacun est par nature unique, la notion de style peut recouvrir une dimension plus collective. Ainsi, dans l’histoire de la photographie, on relie souvent le travail d’un photographe au contexte artistique de son époque, en l’associant au style d’un courant artistique d’appartenance. C’est ainsi qu’on associe souvent le style d’Ansel Adams à la straight photography, tout comme Robert Demachy est associé au mouvement pictorialiste, ou Albert Renger-Patzsch à celui de la Nouvelle Objectivité.
Pourquoi chercher un style en photographie ?
Quel intérêt peut-on trouver à chercher un style photographique ? S’il s’agit de flatter un ego, c’est sans doute une mauvaise raison. Par contre, s’il est question de s’interroger autour de sa pratique, de creuser plus avant son travail, de faire le point sur ses images et de déterminer une direction à prendre, alors les développements autour du style me paraissent autrement plus dignes d’intérêt. Chercher un style, c’est chercher à comprendre ce qui relie ou pourrait relier nos images. C’est lever le doigt du déclencheur et quitter l’œil du viseur pour prendre du recul. C’est aborder sa pratique selon une approche d’ensemble susceptible de la pousser et l’amener plus loin.
Qu’est-ce que vous aimez ?
Le point de départ dans la quête d’un style photographique est de s’interroger, de la façon la plus ouverte et large possible. Commencez par vous demander pourquoi vous avez choisi le médium photographique. Pourquoi celui-là et pas un autre ? Il y a en effet d’autres manières d’être présent au monde.
Pour ma part, j’ai pratiqué le théâtre pendant plusieurs années. J’y ai beaucoup appris, en particulier au sujet d’une compétence-clé en photographie : l’écoute. C’est-à-dire une posture d’observation profonde d’autrui, de ses paroles, de ses gestes, de son corps. J’ai abandonné cette discipline pour des raisons multiples, la plupart sans rapport avec la pratique théâtrale elle-même. Mais l’une d’elles a sans doute été décisive : je ne me reconnaissais pas beaucoup à la lumière des projecteurs de la scène. Je me sens beaucoup plus à mon aise à l’ombre, occupé à voir ce qui se passe à la lumière du monde. J’y prends part autrement, dans un rôle de témoin plutôt que de comédien. Je ne divertis plus le public, je révèle le public, cherchant à en esquisser les contours de beauté.
Demandez-vous pourquoi vous pratiquez la discipline. Pourquoi vous vous intéressez à vos sujets. Pourquoi ces sujets et non d’autres ? Interrogez-vous sur ce que vous voulez transmettre à travers vos images : quel type d’émotion, quel propos ? Questionnez-vous sur vos inspirations esthétiques, sur les formes expressives qui vous séduisent. Enfin, cherchez à répondre à ceci : quel est mon idéal photographique ? En rassemblant le fruit de vos réflexions, vous disposerez sans doute d’une premier grille d’analyse pour qualifier votre style.
Posez des mots sur vos images
Rebecca Norris Webb déclare que ses images sont plus sages qu’elle-même. Le processus photographique fait la part belle à l’instinct, libère des impulsions inconscientes, des intuitions inexpliquées. Il me semble qu’il faut encourager au maximum la spontanéité de l’acte photographique en lui-même. C’est en aval de la prise de vue que vient le temps de l’analyse. Pour chercher à comprendre ce que l’on a bien voulu dire. Trouver son style photographique, c’est d’abord réussir à poser des mots sur son travail. Étudier son imagerie en la formalisant, en la qualifiant, en la décrivant, en la précisant. Essayez-vous à cet exercice. Commencez peut-être par choisir vos dix images préférées, en y associant quelques mots. Voyez dans quelle mesure les qualificatifs identifiés rejoignent ou non les débuts de réponses plus généraux sur vos aspirations profondes et votre idéal photographique.
Il est difficile de poser des mots justes sur des photographies en raison de notre propre subjectivité, et de l’attachement que nous portons à nos photos, en relation avec l’énergie et le cœur que nous avons mis à les produire. Vous pouvez utilement croiser votre travail de formalisation avec la collaboration d’un confrère ou d’une consœur bienveillant.e, en maintenant la bonne distance par rapport à ce qui ne reste dans tous les cas qu’un avis. En étudiant cette matière traduite en mots, vous aurez des clés pour identifier les composantes de votre vision personnelle.
Comme Pinkhassov, faites de la photo de rue pour trouver votre voie artistique
La découverte de ses aspirations artistiques est un processus long, qui suppose un temps de pratique étendu. Quand ses collègues de l’agence Magnum découvrent une image de Pinkhassov, ils reconnaissent immédiatement son travail. Son univers, très onirique, transcende des instants a priori insignifiants en tableaux spectaculaires structurés par des jeux sur les lumières, les ombres, les textures et les transparences.
Pourtant, Pinkhassov n’a pas toujours travaillé dans ce style si caractéristique. Il a d’abord tâtonné. En discutant avec le cinéaste Tarkovski, ce dernier lui recommanda d’arpenter les rue de Moscou pour trouver sa voie artistique. La signature formelle de Pinkhassov est le fruit de nombreuses heures de street photography passées à enregistrer la vie moscovite. La photo de rue est sans conteste l’une des disciplines les plus formatrices : elle est d’approche simple, peut se pratiquer n’importe quand sans aucun matériel sophistiqué, n’est pas tributaire des disponibilités de clients, et s’appréhende finalement sans autres limites que celles de votre emploi du temps.
Des références culturelles pour nourrir sa vision
Trouver son style, c’est affirmer un regard personnel. Cela ne signifie pas s’écarter de toute influence artistique. Nous sommes nourris de références, qu’elles soient photographiques comme plus largement culturelles, et leur assimilation favorise notre développement en tant qu’auteur photographe. Avant d’être photographe chez Magnum, Inge Morath était documentaliste de Cartier-Bresson.
Je crois bien que c’est en étudiant sa manière de photographier que j’ai appris à photographier moi-même, avant même d’avoir jamais tenu un appareil en mains.
Inge Morath
Inge Morath était par ailleurs passionnée d’histoire de l’art, multipliant les visites au Louvre, au Prado, ou au musée de l’Ermitage. C’est la somme de toutes ces influences qui a forgé son regard photographique.
Le style photographique, c’est vous
Quand j’ai rencontré William Klein pour la première fois en 1963, j’ai vu ce type arriver boulevard Saint-Germain, droit dans ses bottes, avec ce côté beau mec et ce physique puissant, en train de bousculer les mannequins en séance photo. Je me suis dit: “c’est intéressant, ce type ressemble physiquement à ses images!”
Harry Gruyaert
Si notre environnement influence notre identité et nos idéaux, notre vision du monde vient d’abord de nous-même. Il nous faut la découvrir, en menant ce travail d’introspection qui la révèle peu à peu. Les tâtonnements photographiques hésitants finissent par faire place à une pratique plus affirmée et sûre d’elle, à mesure que l’on comprend ce que nous sommes, à force de chercher au fond de soi. Rebecca Norris Webb pose sur le monde un regard » de travers » marqué par la rêverie. Elle explique cette forme d’expression personnelle en découvrant sa personnalité d’enfant timide, jetant des regards de côté sur le monde plutôt qu’oser le contempler de face, souvent plongée dans ses pensées.
Inge Morath défend cette même idée selon laquelle la vision du photographe est latente, présente au départ, et ne demande qu’à trouver le moyen de se déployer.
Le regard personnel d’un photographe est généralement présent dès le départ. C’est une alchimie spéciale, combinant les racines d’un individu et ses valeurs, la tradition et son rejet, la sensibilité et le voyeurisme. On se fie à son œil, et au passage c’est son âme qu’on dénude. Le regard finit par trouver la forme qui permettra de l’exprimer.
Inge Morath, In Life as a photographer
Pour étudier dans quelle mesure votre vision photographique était déjà en gestation dès le départ, il peut être intéressant d’établir des comparaisons entre les images que vous produisez aujourd’hui et celles de vos débuts. Cherchez à distinguer ce qui a changé dans vos images de ce qui au contraire n’a pas changé. Peut-être sera-t-il profitable de prêter attention à ce socle de traits caractéristiques immuables dans votre imagerie, présents dès le départ, alors même que votre pratique avait l’innocence des débuts.
Trouver son style, un processus lent
Affirmer sa vision photographique est un processus lent, dont les traits apparaissent toujours plus nettement au fil de la pratique. Comme souvent en photographie, il faut faire preuve de patience, en acceptant le mûrissement progressif de son œuvre, sans chercher à aller trop vite.
Ne forcez jamais les choses, ou l’image perdra sa poésie. Ne suivez que votre seule envie. Vous êtes la vie, et la vie est tout ce que vous voudrez.
Sergio Larrain
Derrière l’idée de ne pas forcer les choses se cache celle d’un laisser-faire, d’une forme de lâcher-prise. Une conscience excessive de sa propre vision peut s’avérer contre-productive et déboucher sur des images peu naturelles et artificielles, au sens où elles ne seront pas tout à fait authentiques. Une approche souhaitable serait alors celle de Richard Kalvar, qui laisse ses influences alimenter son inconscient, et observe le résultat de leur infusion sur sa pratique dans les rues de Rome, comme lorsqu’il documenta la mort de Jean-Paul Ier en 78 et le conclave qui s’ensuivit. Cette réflexion rejoint la notion de spontanéité et d’instinctivité de l’acte photographique.
Tout photographe un peu intelligent qui débarque dans une ville inconnue verra les choses tout autrement que ses habitants. Je suis un américain, j’ai étudié l’histoire de l’art, je vis à Paris : tout ce parcours qui est le mien, je l’apporte avec moi quand je visite Rome. Beaucoup de choses peuvent sembler surréalistes – la trace de Magritte peut-être – mais j’évite toujours de laisser mes influences conscientes s’immiscer dans ma photographie. Plutôt que d’imiter d’autres artistes, je préfère me laisser inspirer par tous les livres et les expositions qui m’ont frappé et voir comment ça travaille dans mon inconscient.
Richard kalvar
Le rôle du matériel photographique
Nous sommes en 1953. Herbert List s’est malencontreusement blessé au pied. Impossible de sortir de chez lui pour documenter la Rome effervescente de la dolce vita. Pourtant, cette contrainte devient une opportunité. Herbert List se réinvente. Il observe la vie romaine autrement, depuis sa fenêtre en étage élevé. Ce nouveau point de vue, il le cadre avec un nouveau matériel. Il troque son Rolleiflex, qu’il maniait avec un soin méticuleux, contre un petit appareil télémétrique Leica muni d’un téléobjectif. Cette configuration lui apporte de la souplesse, et le libère comme photographe. Il produit des images vivantes et impulsives, qui changeront à jamais son regard photographique.
Les images que je captais spontanément, avec la même ivresse que si elles dormaient depuis longtemps dans mon inconscient, étaient souvent plus fortes que celles que j’avais si soigneusement composées. Je les saisissais au passage dans toute leur magie.
HErbert List
Cette anecdote illustre le rôle que peut jouer l’outil sur l’expression du style photographique. On associe le travail de Saul Leiter à des focales longues. Celui de Cartier-Bresson au 50 mm. Le mûrissement du style photographique s’accompagne un jour ou l’autre d’une réflexion sur le matériel photographique employé. Il s’agit de faire usage de l’outil le plus en phase avec les aspirations artistiques de son auteur.
Le rôle de la post-production
En aval de l’acte photographique, la post-production joue un rôle-clé sur l’affirmation du regard photographique. Le travail de sélection des images en est le premier pilier. Au-delà de la prise de vue, c’est lors de la phase de tri qu’on opère des choix forts sur les images qui nous plaisent. Montrer ou non une image, c’est trancher sur sa conformité à notre idéal artistique.
Concernant la retouche en elle-même des images sélectionnées, je dirais qu’elle a pour but de révéler nos photographies. Il s’agit d’en rendre les traits plus saillants encore, pour renforcer son impact sans en déformer le sens de départ. La parcimonie est l’un des plus beaux appuis dans ce domaine.
Quoi qu’il en soit, il me paraît indispensable de ne pas se laisser enfermer dans un style, et de s’offrir la possibilité d’expérimenter différentes approches ou rendus. Progresser en photographie, c’est avoir la capacité de mettre en cause ses choix et ses certitudes. Par ailleurs, au fil du temps et de nos expériences, nos goûts changent, notre vision s’affine, notre regard sur les choses se décale légèrement. Il faut pouvoir accueillir cette dynamique, en faisant vivre cette valeur de liberté créative qui rend la pratique artistique si épanouissante…
2 commentaires
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Très vrai, et très difficile. Et définir, trouver les mots, les agencer est plus compliqué que la technique photo …..
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Un exercice passionnant et difficile… Merci pour le retour, bonne journée !